Savez-vous ébouillanter les grenouilles ?

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Il y a quelques jours, France 2 a « célébré » les vingt ans de l’affaire d’Outreau -conclue par la relaxe générale d’innocents après trois années de détention préventive- en diffusant une excellente série documentaire sur ce fiasco judiciaire.

Simultanément, un autre fiasco judiciaire passait sous les radars de l’actualité : le 26 janvier, après quatre années de procédures, de mises en examen, de gardes à vue, de contrôles judiciaires, les magistrats de la Cour d’appel de Nancy ont relaxé quatre des sept militants accusés d’avoir participé à une manifestation contre le site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure (Meuse). Les trois autres, qui encouraient jusqu’à 12 ans de prison ferme pour des méfaits épouvantables (« dégradation par moyens dangereux et association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement ») ont été condamnés… à quatre mois avec sursis simple pour « participation à un attroupement ». On ne dénoncera jamais assez le coupable laxisme des juges !

Les enquêteurs n’avaient pourtant pas lésiné sur les moyens pour confondre ces dangereux terroristes : un dossier d’instruction de 15 000 pages, jusqu’à 9 gendarmes affectés à plein temps à cette « affaire », quatorze perquisitions mobilisant jusqu’à 150 pandores, écoute des téléphones des mis en cause à l’aide de valises-espion IMSI-catchers (oui, comme dans Le Bureau des légendes !), recours au logiciel Anacrim (celui qu’on utilise pour confondre les serial-killers…), 765 demandes d’identification auprès d’opérateurs téléphoniques, écoute intégrale de plus de 85 000 conversations et messages téléphoniques, sans parler d’une soixantaine d’expertises en tous genres : informatiques, génétiques, techniques, téléphoniques, etc. Coût de ce cirque : 1 million d’euros au bas mot.

Autre site, mêmes méthodes : la semaine dernière, un des organisateurs de la lutte contre les mégabassines dans les Deux-Sèvres a trouvé un traceur GPS sous sa camionnette. Peu auparavant, le même militant avait repéré des caméras de vidéosurveillance devant le domicile de son père, où se tenaient les réunions. Questionnée, la préfecture a reconnu le recours à ces deux équipements, dans le cadre -on ne rit pas !- de la « sécurisation de la population ».

On pourrait multiplier à l’envi ces signes de la criminalisation systématique de l’action des écologistes, depuis la création d’une cellule de gendarmerie (Demeter) spécialement chargée de traquer quiconque se permet de contester la panzer-agriculture, jusqu’à ce recours banalisé à des méthodes d’intimidation barbouzardes.

Il y a, c’est bien connu, deux méthodes pour ébouillanter une grenouille. La première consiste à la plonger dans l’eau bouillante. Il est probable qu’elle tentera de s’échapper.  La deuxième consiste à la mettre dans de l’eau froide, puis à élever lentement la température, degré après degré, jusqu’à ébullition. Elle s’habituera aux variations de température et restera tranquille jusqu’à se retrouver bouillie.

Et pour ébouillanter la liberté d’opinion, le droit de s’opposer aux décisions arbitraires et mortifères, en un mot, pour ébouillanter la démocratie ?

Eh bien, c’est exactement la même chose.