« Tu as fait un excellent travail. Demande-moi ce qui te ferait plaisir, et je te l’accorderai sans filtre.
-OK, super ! Tu pourrais me donner vingt euros pour sortir ce soir avec mes copains ?
– Quoi ?!, quinze euros ? Mais qu’est-ce que tu veux faire avec ces dix euros ? Cinq euros ne te suffiraient pas ? Tiens, voilà deux euros et rapporte-moi la monnaie ».
Remplacez les 20 euros par l’interdiction des vols domestiques, et ce dialogue fictif vous donnera une idée très claire de l’entourloupe qui vient de trouver sa conclusion dans le décret publié au Journal officiel du 23 mai.
Au commencement était la Convention citoyenne sur le climat, initiative du président de la République pour sortir de la crise des gilets jaunes et associer 150 citoyens tirés au sort à l’élaboration de la politique de la France pour faire face au dérèglement climatique. Sur les 149 propositions émises par ces citoyens, dont la qualité du travail a été unanimement appréciée, le président de la République s’est engagé à en mettre 146 en application. « Sans filtre » (sic).
Parmi celles-ci : « Organiser progressivement la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs d’ici 2025, uniquement sur les lignes où il existe une alternative bas carbone satisfaisante en prix et en temps (sur un trajet de moins de 4h) ». Une idée d’une hardiesse folle : sur les 200 000 vols intérieurs annuels, 35 000 auraient été supprimés, soit 17,5 %. Tous ceux pour lesquels existe une alternative ferroviaire de moins de 4 heures.
Dans la loi « Climat et résilience », qui organise la mise en œuvre « sans filtre » de la mesure, le gouvernement a d’abord remplacé « moins de 4 h » par « moins de 2 h 30 ». Peuchère, on n’allait tout de même pas contraindre les Marseillais à passer 3 heures dans un TGV pour aller à la capitale ! Avec ces 2 h 30 au lieu de 4 h, la mesure ne s’appliquait plus qu’à 12 000 vols annuels, sur les 35 000 d’origine.
C’était encore beaucoup trop. Une fois la loi votée, restait les décrets d’application. Et là, la créativité des services gouvernementaux a donné sa pleine mesure. Sans filtre ! D’abord, ont-ils considéré, la desserte ferroviaire doit permettre d’effectuer l’aller-retour dans la journée, en arrivant suffisamment tôt et en repartant suffisamment tard. De cette manière, toutes les liaisons vers Roissy, par exemple, sont maintenues. Car, et c’est l’autre trouvaille ministérielle, c’est entre les gares les plus proches des aéroports, et non entre les villes, qu’il faut mesurer ces 2 h 30. Or s’il existe une gare TGV à Roissy, aucune ligne ferroviaire la desservant ne remplit ces conditions. Et pour cause : qui est intéressé par un aller-retour à Roissy dans la journée ?
Au final, la mesure concerne trois lignes, qui relient Orly à Bordeaux, Nantes et Lyon. Les deux premières ont été supprimées en 2020, et la dernière vient de l’être. Économie de CO2 réalisée : 0,055 Mt, sur les 436 millions qu’émet la France chaque année.
« Engagement tenu » s’est bruyamment félicité le gouvernement.
Tous les dealers de tabac vous le confirmeront : sans filtre, l’enfumage fonctionne beaucoup mieux !