Comment appelle-t-on un particulier qui fait ostensiblement fi des décisions de justice, nargue les magistrats et, à peine sorti de la salle d’audience, commet à nouveau sans retenue les délits et les crimes qui lui ont valu de comparaître ?
Un délinquant multi-récidiviste ?
Et lorsque de tels comportements sont adoptés en bande organisée, de quoi parle-t-on ?
D’association de malfaiteurs ?
Eh bien, voilà comment on pourra, désormais, désigner l’État français, ses ministres, ses préfets, et toute sa chaine de gouvernement.
En juin 2019, les ministres de l’écologie et de l’agriculture adoptent un arrêté autorisant, dans les Pyrénées, les tirs « d’effarouchement renforcé » contre des ours. En janvier 2021, le Conseil d’État annule cet arrêté, jugé illégal au regard du statut de protection de l’ours.
Derechef, les ministres adoptent un nouvel arrêté, identique au mot près au précédent ! Logiquement, le Conseil d’État l’annule à nouveau. Et la semaine dernière, les deux ministres, dans un nouvel arrêté, pérennisent le recours aux tirs d’effarouchement pourtant censuré à deux reprises par la plus haute juridiction administrative.
Comment dit-on « bras d’honneur » en jargon administratif ?
Parlons d’une autre espèce : le grand tétras. Ce coq de bruyère est en voie de disparition en France, il est pourtant imperturbablement chassé en toute « légalité », des arrêtés préfectoraux autorisant cette pratique. Depuis 14 ans, ces arrêtés ont été censurés 55 fois par les tribunaux administratifs. L’astuce de la part des préfets consistait à publier ces arrêtés annuels le plus tardivement possible afin que, les délais de justice aidant, les recours ne soient jugés qu’après la saison de chasse. Le Conseil d’État vient de frapper plus haut : il a enjoint au ministre de l’écologie de suspendre totalement pour cinq ans, avant le 15 juillet, la chasse au grand tétras. Quelle entourloupe, quel nouveau bras d’honneur l’impétrant imaginera-t-il ?
Parce que le peuple a déçu son président en le privant de la majorité absolue dont il rêvait, on nous explique que la patrie est en danger, la République menacée, et que la démocratie vacille. Mais la démocratie est bien plus menacée par de telles pratiques qui sapent l’un de ses piliers : la séparation et l’équilibre des pouvoirs. Comment un gouvernement peut-il prôner la tolérance zéro à l’égard des voleurs de poules ou des acrobates des rodéos urbains et narguer ainsi la justice ?
C’est quand ceux qui sont censés veiller au respect des lois et des institutions les insultent que la démocratie est menacée.
C’est quand les gardiens de la loi se muent en gardiens d’intérêts particuliers que la démocratie est menacée.
Quis custodiet ipsos custodes ? (qui gardera ces gardiens ?) comme on dit dans Astérix (et aussi, un peu, dans Juvénal)…