Corrida parlementaire

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Les aficionados de faenas sémantiques, de véroniques oratoires, d’estocades rhétoriques, sont à la feria cette semaine. Drapé dans son costume de lumière et son indignation vertueuse, le novillero Aymeric El Caron est venu agiter sous le museau des taurillons parlementaires la muleta de l’interdiction de la corrida. Olé !

Écumant du naseau, toutes cornes baissées, les « bravos » de toutes les manades sont partis à l’assaut. Leur plus belle passe ? Dans une tribune publiée dans le Journal du dimanche, 218 d’entre eux s’insurgent contre l’« éco-totalitarisme » d’une telle proposition, pas moins !

Eco-totalitarisme ? Chacun des deux membres de ce joli néologisme mérite un temps d’arrêt. « Totalitarisme » d’abord. Rappelons la définition communément admise de ce mot : « un régime et système politique dans lequel existe un parti unique, n’admettant aucune opposition organisée, et où l’État tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société ». Le fait pour un élu de la Nation de proposer à la représentation nationale l’interdiction d’une pratique que certains sont fondés à trouver indécente nous aurait fait basculer dans un tel régime ? Franchement, le débat public ne mérite-t-il pas mieux que ces outrances ?

Et surtout, en quoi ce supposé totalitarisme aurait-il quelque chose à voir avec l’écologie ? En admettant que la proposition de loi soit adoptée, l’effondrement de la biodiversité serait-il enrayé ? Le réchauffement climatique contenu ? Les écosystèmes s’en porteraient-ils mieux ? Le ressenti de chacun par rapport à la corrida ne relève nullement d’un engagement écologique, mais d’une appréciation éthique personnelle. Dès lors, aucun intérêt général ne s’attache à l’interdiction de la pratique.

Du reste, dans le cérémonial ultra-codifié de la corrida, qui n’est pas exempt d’une part de religiosité, il est permis de voir un hommage rendu au taureau et à sa bravoure, une volonté de l’individualiser, d’élever sa mort au rang de rituel, bref de lui reconnaître une identité, une intériorité, dans le sens proposé par l’anthropologue Philippe Descola où les intériorités des humains et des non-humains sont semblables, mais où ils se distinguent par leur corps.

Certes, la marchandisation du spectacle de la mise à mort du taureau, tout le business parfois un peu opaque qui traverse le mundillo taurin, ne plaident pas en faveur d’une approche animiste de la corrida. Néanmoins, les militants de la condition animale devraient peut-être mieux choisir leurs combats. Ou mieux les prioriser. S’intéresser au sort des dizaines de milliers de bovins élevés en batterie, et exécutés en douce dans des abattoirs indignes après une vie trop brève de stakhanovistes du steak, serait peut-être plus urgent que de s’indigner sur quelques dizaines de taureaux célébrés et acclamés en pleine lumière au terme d’une vie de rois de la prairie !

Plus urgent, et plus pertinent en termes de respect de la biodiversité et du bien-être animal. Mais moins rentable en termes de buzz médiatique…