« Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » (proverbe chinois). Quand de jeunes militants alertent contre l’inaction écologique des gouvernements, des armées d’imbéciles médiatiques regardent leurs mains collées aux cadres des musées, et s’indignent au pas cadencé contre cet intolérable vandalisme. La palme au ministre espagnol de la culture, Miquel Iceta : « Il n’y a aucune cause qui justifie de s’attaquer au patrimoine de tous ». Si ce boomer catalan et socialiste avait pris le temps de tourner sept fois sa langue dans son bec avant de balancer son tweet mécanique, il se serait aperçu que c’est très exactement ce que proclamaient les jeunes gens scotchés à la Maja desnuda de Goya, dans une salle du Prado. Une terre habitable pour toutes sortes d’espèces dont la nôtre, c’est bien un élément central du « patrimoine de tous », non ? M. Iceta ne s’est pas attardé à expliquer ce qui justifie qu’on s’y attaque, en déréglant le climat ou en précipitant l’effondrement de la biodiversité.
La question, fondamentale, que posent ces actions qui se sont multipliées dans les musées européens, c’est celle de la valeur respective de la vie sur terre d’un côté, d’un Goya ou d’un Monet de l’autre. Les qualifier de « vandalisme » sans autre forme de procès, c’est escamoter deux « détails », gênants pour tous les Playmobil offusqués. D’une part, aucun tableau n’a été dégradé : ces « vandales » plutôt bien élevés ne s’en sont pris qu’aux cadres et aux vitres de protection des œuvres. D’autre part, en mettant en balance des chefs d’œuvre « universels » et la survie de l’humanité, ils rendent un magnifique hommage à Van Gogh, Monet, Goya ou Vermeer !
Dans d’autres cénacles, si l’on reconnait la justesse de la cause, on conteste le moyen, au motif que de telles actions, incompréhensibles pour le plus grand nombre, pourraient éloigner de la mobilisation écologique les sceptiques et les hésitants. La même critique est adressée aux manifestants de Sainte-Soline mobilisés contre l’accaparement de l’eau par l’agro-business. Mais qui, jusqu’à la manifestation de l’autre semaine, s’était préoccupé des méga-bassines et de leur impact délétère sur la ressource en eau ? Et qui a mieux à proposer, pour botter le cul des gouvernements et des multinationales de la mort lente, que l’agit-prop culturelle de Just stop oil ou d’Extinction Rebellion ?
Parmi ceux qui s’indigent aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se plaisent à se remémorer les campagnes et les victoires de leur jeunesse, contre le camp militaire du Larzac, contre les projets nucléaires de Plogoff ou de Port-la-Nouvelle, ou contre le surrégénérateur de Creys-Malville. En quoi la ZAD de la Clusaz contre une retenue collinaire, celle de Notre-Dame-des-Landes contre un aéroport obsolète avant même sa construction, ou la mobilisation de Sainte-Soline, diffèrent-elles de ces luttes du passé ?
Bien sûr, ces actions sont choquantes, elles sont même conçues dans ce but. Mais le plus choquant, c’est l’insondable bêtise des réactions qu’elles suscitent. A ne manier pour toute réponse que la répression, l’invective et la condamnation, au lieu d’entendre le cri d’alarme dont ces militants sont porteurs, notre société court le risque de pousser à des surenchères plus violentes la frange la plus éclairée de sa jeunesse. Bel exploit !