Ah, la campagne… le bon air… l’odeur d’étable… le bon sens paysan… toutes ces valeurs que nous avons perdues… Les charmes de la « ruralité », quoi…
D’ici au 10 avril, on va en bouffer, de la « ruralité ». Voilà un thème qui coche toutes les cases de la bien-pensance du moment.
Les gilets jaunes ? C’est d’avoir délaissé les zones rurales.
Les interrogations sur l’identité nationale ? Revenons à nos sillons voulez-vous, pour voir quel sang impur les abreuvera.
L’insécurité, les « dérives communautaristes » ? C’est dans « les quartiers » que ça se passe. A « la campagne », on respecte la loi et l’ordre. Et on sait qui est qui : n’est véritablement « d’ici » que celui qui y a trois générations au cimetière. Ce n’est pas dans « nos terroirs » qu’on craint de se faire grand-remplacer !
Bref, la petite musique de la « ruralité » fait délicieusement écho aux fantasmes de toutes les volières de l’extrême-droite, de la droite extrême, et de la droite d’extrême-centre. C’est-à-dire de tout le spectre audible du débat public d’aujourd’hui, les ritournelles de la gauche étant émises dans des fréquences inaccessibles à l’oreille humaine (les infra-sons sans doute). Avant même d’être candidat, le président sortant est allé se souiller le mocassin dans la Creuse pour disserter sur « la ruralité »…
Et qu’importe si les sociologues échouent à dire qui est aujourd’hui « rural », à une époque où Netflix apporte films et séries simultanément partout, où les réseaux sociaux font de 7 milliards de bipèdes un voisin potentiel, même si le premier voisin « physique » est à 500 mètres.
Qu’importe que le thème de la « ruralité » ait été enrôlé par les plus réactionnaires des lobbies ? Critiquer la chasse dans ses pratiques les plus glauques ? C’est une atteinte à la « ruralité ». Récuser le recours au glyphosate, aux néonicotinoïdes, aux intrants sur-azotés ? C’est attaquer la « ruralité ».
Qu’importe, surtout, que 43 % des Français vivant en « zone rurale » affirment avoir été confrontés à une situation d’insécurité liée à la chasse ? Dont 30 % en raison d’un tir en direction d’une habitation et 46 % dans une situation tendue au cours d’une promenade ? Qu’importe si trois Français sur quatre réclament l’interdiction de la chasse le dimanche et pendant les vacances scolaires ?
Qu’importe ces Français-là, qui n’entendent rien à « la ruralité ». Pour majoritaires qu’ils soient, leurs voix sont trop dispersées pour faire une élection. Ce sont les autres qu’il convient de cajoler, les vrais « ruraux », les ruraux de souche. Ceux qui sont capables de se mobiliser pour leur chasse du dimanche, leur glyphosate et leurs « bassines » pour accaparer une eau devenue rare.
On le sait depuis Pétain : « la terre, elle, ne ment pas ».
Mais qu’est-ce qu’elle morfle !