Tremblez pollueurs, ravageurs de la nature, criminels écologiques, aménageurs compulsifs, serial-bétonneurs, fripouilles dopées aux pesticides, voyous à tête de Lubrizol, ce ne sont plus désormais quelques zadistes déguenillés qui se dresseront sur votre route mais, drapé dans sa toge noire et dans sa légitime fureur environnementaliste, notre héros national Superdupont (-Moretti) en personne. Vous n’échapperez pas au glaive impitoyable de la Justice qui va maintenant s’abattre sur vous.
Ah, vous blêmissez, rascals ! Encore n’avez-vous sans doute pas lu la très ferme instruction que le Garde des sceaux vient d’adresser à tous les procureurs généraux, dans sa Circulaire de politique pénale. « Face à la dégradation sans précédent de nos écosystèmes et aux conséquences du réchauffement climatique, écrit-il sans détour, la Justice doit être à la hauteur du défi éthique de la régulation environnementale, sans en négliger la dimension économique ».
En pratique ? « Vous serez particulièrement attentifs à ce qu’une réponse pédagogique, réparatrice et exemplaire soit apportée aux infractions susceptibles d’entraîner des atteintes irréversibles à la biodiversité. »
A ce stade de la lecture, le procureur général surdiplômé regrette son orientation professionnelle, se dit qu’il aurait dû faire médecine comme le lui serinaient ses parents, ou alors pompier comme il en rêvait enfant.
C’est quoi, en droit pénal, une réponse « pédagogique, réparatrice et exemplaire » ? On fait quoi chef ? On cogne ou on cogne pas ? Mais surtout, c’est quoi une « atteinte irréversible à la biodiversité » ? Une forêt incendiée, ça n’a rien d’irréversible. Si on lui en laisse le temps, elle se régénèrera. Et pour peu qu’on s’abstienne d’y intervenir trop, il est probable qu’apparaîtront des espèces plus adaptées au milieu et à ses conditions particulières, plus résilientes en un mot, que le champ d’arbres monospécifique (et le plus souvent résineux) qui vient de partir en fumée. Et sans attendre qua la forêt ait repoussé, un arbre mort, un arbre brûlé, est par lui-même un écosystème ! Différent de celui qui le précédait, certes, mais un écosystème est toujours en perpétuelle mutation. Son équilibre ressemble à celui du cycliste : s’il cesse d’avancer, il tombe. A quelle échelle de temps Mme ou M. le procureur général devra-t-il donc apprécier le caractère « irréversible » d’une atteinte à un écosystème ? Le ministre a oublié de le préciser. On ne saurait penser à tout, hein…
OK, ne pinaillons pas : bétonner un terrain de 15 ha pour y construire, au hasard, une plateforme logistique Amazon, c’est assez irréversible. Soit. Qui le Parquet doit-il poursuivre ? Jeff Bezos ? Le maire qui a accordé le permis de construire ? Le préfet qui a signé l’arrêté de destruction d’espèces protégées ? Il est rare que ce type de forfait soit commis sans une bonne couverture légale de façade…
Il faut re rendre à l’évidence : faute d’être applicables, les instructions de Superdupont-Moretti n’ont aucune chance d’être appliquées. Pour être dans l’ambiance écolo du moment, il fait du bruit avec sa bouche et des ronds avec ses petits bras, mais son glaive justicier n’est qu’un sabre de bois.