Pendant des années, le tucuxi (Sotalia fluviatilis) a été la seule espèce de dauphin d’eau douce au monde à ne pas être considérée comme menacée par l’activité humaine. Ce dauphin vivant dans le bassin d’Amazone est à présent classé « en danger » selon les dernières mis à jour de la liste rouge des espèces menacées de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
Le Tucuxi (Sotalia fluviatilis), dauphin d’eau douce présent dans le bassin de l’Amazone a longtemps échappé aux pressions humaines. Pendant des décennies, il a été la seule espèce de dauphin d’eau douce au monde à ne pas être considérée comme menacée par l’homme. Il a longtemps résisté alors que des espèces similaires d’Amérique du Sud et d’Asie étaient emprisonnées par les barrages hydroélectriques, empoisonnées par le mercure présent dans les rivières ou accidentellement tuées par les navires de pêche. Dans sa dernière évaluation de la liste rouge des espèces menacées, l’UICN a classé le tucuxi « en danger ». Les menaces – enchevêtrement dans les filets de pêche, empoisonnement, construction de barrages – sont les mêmes que pour tous les autres dauphins de rivière, notamment le « Boto », aussi connu sous le nom de dauphin rose de l’Amazone (Inia geoffrensis), avec lequel le tucuxi partage son habitat et qui a lui-même été déclaré en danger en 2018. « Le dauphin de rivière rose, célèbre pour sa couleur et figure centrale du folklore amazonien, est plus docile et un sujet plus facile à étudier pour les scientifiques. Ils cherchent désormais à en savoir plus sur chacune des deux espèces de dauphins amazoniens et à comprendre leurs particularités », explique le site d’informations Mongabay dans un article.
La capture des dauphins par les pêcheurs locaux pour leur graisse est un important facteur de déclin des populations. La graisse de dauphin sert d’appât pour un type de poisson-chat, le piracatinga (Calophysus macropterus), largement consommé en Amazonie. Marcelo Oliveria, expert en conservation au WWF Brésil, explique à Mongabay qu’il a vu les pêcheurs couper la nageoire dorsale d’un dauphin et le laisser se débattre parce qu’il avait déchiré leur filet. Il affirme qu’il est essentiel de trouver des solutions pour aider les pêcheurs et les dauphins à cohabiter, mais que cela ne se fera pas avec la construction de nouveaux barrages ou l’exploitation de mines d’or. Cette dernière activité présente aussi un grand danger pour les dauphins, car elle rejette beaucoup de mercure dans les rivières. Ce polluant entre dans la chaîne alimentaire par le biais de poissons plus petits, pour finalement remonter jusqu’aux dauphins, où il s’accumule et peut causer divers problèmes de santé.
Les dauphins d’eau douce du bassin de l’Amazone risquent de devoir faire face à de nouvelles perturbations au cours des décennies à venir. Le plan décennal pour l’électricité du gouvernement brésilien prévoit la construction de trois autres grands barrages en Amazonie d’ici à 2029 ; le plan national pour l’électricité de 2050 en prévoit encore davantage. Les barrages de Santo Antônio et de Jirau, en service sur le fleuve Madeira depuis 2012 et 2013 respectivement, servent d’exemple de ce qui pourrait arriver si de nouveaux barrages sont construits en Amazonie : leur structure a divisé l’habitat des dauphins, piégeant 50 à 100 individus qui risquent de tomber malades ou de mourir à cause de l’appauvrissement génétique. En Asie, une frénésie de construction de barrages a provoqué la fragmentation et la dégradation des populations de dauphins de la région, entraînant par exemple le déclin du dauphin du Gange (Platanista gangetica) en Inde et au Bangladesh. En Chine, le « Baiji » (Lipotes vexillifer) s’est quant à lui probablement éteint après la construction du barrage des Trois Gorges et d’autres barrages sur le fleuve Yangtze. Si la construction de barrages en Asie a pu faire disparaître une espèce de dauphins, cela pourrait également arriver en Amazonie.
Afin de mieux préserver les dauphins d’eau douce et de mieux comprendre comment ils circulent dans la région, des expéditions sont menées depuis 2017 pour installer des émetteurs satellites sur les nageoires dorsales des dauphins, permettant aux chercheurs de les suivre en temps réel. Trente des dauphins marqués à ce jour ont préféré des habitats plus préservés, notamment au sein des unités de conservation. Le « tableau de bord des dauphins de rivière » a également été lancé en octobre 2020 par les experts de la South American River Dolphin Initiative (SARDI). Il rassemble les travaux menés par des chercheurs au Brésil, au Pérou, en Colombie, en Bolivie et en Équateur, et fournit des données géoréférencées recueillies au cours des 20 dernières années sur les différentes espèces de dauphins d’eau douce et leurs habitats. Il est devenu un outil permettant d’orienter le développement de la politique environnementale publique.