Une initiative journalistique inédite, impulsée par l’Ecole Supérieure de Journalisme de Montpellier et le groupe Centre France, a pris place dans les Bouches-du-Rhône : sept jeunes reporters sont partis enquêter en immersion dans le territoire de la Crau sur des thématiques socio-économiques et environnementales. Une façon de former les futures plumes des médias français aux enjeux des crises climatiques et de la biodiversité.
Avez-vous déjà entendu parler de la plaine de la Crau ? Bien sûr que non. Très peu de gens connaissent ce triangle de parcelles agricoles, de zones industrielles et de réserves naturelles coincé entre la Camargue, l’étang de Berre et les Alpilles, dans les Bouches-du-Rhône. Eux non plus ne savaient pas à quoi s’attendre en s’immergeant pendant deux semaines dans cette étrange steppe pour enquêter sur ses problématiques socio-économiques et environnementales. « Eux », ce sont Brian Le Goff, Jeanne Le Borgne, Antoine Castellet, Océane Jacques, Tom Jakubowicz, Nathan Marliac et Mathias Souteyrat, sept étudiants en formation professionnelle au sein de différentes rédactions de La Montagne, quotidien régional du groupe Centre France. En partenariat avec l’Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ) de Montpellier, ils sont partis se confronter à un environnement nouveau et s’ouvrir à des thématiques qu’ils n’ont pas forcément l’habitude de traiter : les conséquences des activités humaines sur les milieux et la biodiversité, les efforts de protection des écosystèmes, les équilibres fragiles entre activités économiques et conservation de la nature.
Dans l’à-propos de leur blog « Rendez-vous en steppe inconnue« , qu’ils nourrissent de dizaines d’articles multimédias, on peut lire cette mise en bouche : « Dans l’ombre de la Camargue se cache un petit bout de terre aux airs de désert. La Crau, quand on ne la connaît pas, c’est un terrain plat envahi par les entrepôts. Quand on la connaît trop, c’est un trésor de biodiversité, auquel on devient vite accro. Artificialisation des terres, manque d’eau, espèces en voie de disparition… La dernière steppe d’Europe occidentale possède un écosystème unique forgé par la dent du mouton, pourtant son existence demeure silencieuse et son environnement se trouve menacé par les activités humaines. La Crau va-t-elle disparaître ? »
Les sept journalistes ont choisi de tirer les fils de trois thématiques principales : les « Hommes », les « Natures » et les « Cultures » de la Crau. Ainsi passent-ils au scalpel de leurs questions autant la biologie et les menaces pesant sur le criquet de Crau, endémique de la région et en danger critique d’extinction, que le phénomène ahurissant des entrepôts, qui a déjà grignoté 242 hectares de terre près de Saint-Martin-de-Crau. Quand leurs caméras et appareils photos se posent aux fil des canaux de la Crau, c’est à la fois pour témoigner d’un système d’irrigation ancien et atypique et d’une oasis providentielle pour les espèces des zones humides. Ici, eau, agriculture et biodiversité sont d’ailleurs intrinsèquement liées : le foin de Crau AOP, principale production agricole du secteur, contribue directement au maintien de la nappe phréatique. Quant aux moutons, ils sont les premiers à entretenir l’écosystème si particulier des coussouls de la Crau, protégé au sein d’une Réserve naturelle nationale et caractérisé par une flore unique en son genre. Mais aujourd’hui, une ombre plane sur ces équilibres et ces interdépendances entre l’homme et la nature : l’artificialisation des sols, qui grignote des espaces naturels et de la terre arable, pourrait bien défigurer la plaine de la Crau. Le projet de contournement autoroutier d’Arles, critiqué par les écologistes, en est une illustration.
Tous ces sujets et bien d’autres sont au menu du blog de ces jeunes reporters, qui jouent avec appétit le jeu de l’immersion et de l’enquête. Nul doute qu’ils en sortiront mieux informés sur les grands enjeux environnementaux contemporains et sur la façon de les aborder dans les médias. Cette initiative de l’ESJ pro et de Centre France témoigne d’une volonté salutaire d’ouvrir la future génération de journalistes à des thématiques encore mal connues mais désormais incontournables. On se prend à rêver que, pour mieux combattre la crise de la biodiversité et celle du climat, nous ayons bientôt dans le paysage médiatique un vivier foisonnant de plumes capables de les porter à notre connaissance et de nous les expliquer avec rigueur.