Face aux pressions insistantes d’investisseurs réclamant des « résultats » dans la lutte contre la déforestation en Amazonie, le gouvernement brésilien semble avoir changé de ton, mais il devra agir pour convaincre.
Le Brésil est sous pression de toutes parts pour réduire la déforestation en Amazonie, et quelques signes encourageants du gouvernement Bolsonaro ont été remarqués. Le simple fait que le vice-président Hamilton Mourao se soit engagé mercredi 15 juillet à « réduire à un minimum acceptable » la déforestation et les incendies, pour « démontrer à la communauté internationale et à la société brésilienne [leur] engagement« , est déjà une petite révolution. Il y a un peu moins d’un an, quand la communauté internationale, le président français Emmanuel Macron en tête, s’était émue de voir des régions entières de la forêt amazonienne, « bien commun » de l’humanité, partir en fumée, son homologue brésilien Jair Bolsonaro s’était braqué. Il avait crié à un complot « colonialiste » menaçant la souveraineté du Brésil. Jeudi 16 soir, le président, lors d’un direct sur Facebook, a encore accusé : « l‘Europe est une secte environnementale. Ils n’ont rien préservé de leur environnement, presque rien (..) Mais ils nous tirent tout le temps dessus, et de manière injuste« , a lancé Jair Bolsonaro, « nous avons des problèmes parce que le Brésil est une puissance dans l‘agronégoce« . Mais fin juin, quand des fonds d’investissement d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Sud qui administrent 4.000 milliards de dollars ont menacé de retirer leurs investissements, leurs arguments sonnants et trébuchants ont eu un tout autre écho. « Le fait que la pression vienne d’investisseurs et non de chefs d’Etats change la donne« , estime auprès de l’AFP André Perfeito, économiste du cabinet de consultants Necton. Ces investisseurs ont été entendus la semaine dernière par le gouvernement lors d’une visioconférence et le vice-président Mourao a reconnu que de belles paroles n’étaient pas suffisantes. « A aucun moment ils se sont engagés à apporter des fonds, ils veulent voir des résultats, une réduction de la déforestation« , a-t-il déclaré à l’issue de cette réunion. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
La menace des investisseurs est prise très au sérieux par un gouvernement qui aura plus que jamais besoin de devises pour relancer une économie sinistrée par le coronavirus. « Le Brésil compte sur des investissements venus de l‘étranger pour préparer la sortie de crise, avec de grands chantiers d’infrastructure, notamment du traitement des eaux« , explique Rubens Barbosa, ex-ambassadeur du Brésil aux Etats-Unis. Plusieurs anciens ministres des Finances et anciens présidents de la Banque centrale du Brésil ont affirmé cette semaine dans une lettre ouverte que l’absence d’efforts contre le réchauffement climatique « pourrait avoir des conséquences beaucoup plus graves que la pandémie« . Parmi les signataires figurent Fernando Henrique Cardoso (ancien président de la République et ministre des finances), Rubens Ricúpero, Armínio Fraga, Joaquim Levy, Pérsio Arida, Pedro Malan, Henrique Meirelles et Luiz Carlos Bresser Pereira ; ils ont tous travaillé au sein des gouvernements des sept derniers présidents brésiliens, à l’exception de l’administration actuelle. Commentant le piètre bilan de l’administration en matière de déforestation, M. Ricúpero y écrit que le Conseil de l’Amazonie nouvellement créé par Bolsonaro est « purement une affaire de relations publiques. Le taux de déforestation reste très élevé. Les six premiers mois [de 2020] ont déjà dépassé l’ensemble de l’année dernière, donc même si le gouvernement parvient à une déforestation zéro à partir de maintenant, lorsque la destruction commence à s’accélérer avec les mois secs, cette année est déjà perdue« . M. Fraga a souligné que le changement climatique doit être une priorité absolue de la politique économique du Brésil. « Nous avons les outils, comme ceux qui permettent de réprimer la criminalité environnementale, mais cela va beaucoup plus loin, car outre le changement de conscience, il faut aussi des incitations économiques, auxquelles les gens réagissent. Si des incitations sont conçues pour éviter l’utilisation des combustibles fossiles, pour stimuler la recherche et les nouvelles technologies, nous aurons un saut de qualité [des résultats], non seulement dans les investissements étrangers, mais aussi dans les [investissements] nationaux, qui sont maintenant paralysés… Les sujets du changement climatique, du carbone et de l’environnement où nous vivons, devraient être [notre] carte la plus importante« .
Les défenseurs de l’environnement ne se font pas beaucoup d’illusions face au changement de discours d’un gouvernement désireux d’ouvrir les territoires indigènes et les réserves naturelles protégées aux activités minières ou agricoles – celles qui favorisent le plus le déboisement. « Quel est le plan concret, avec quel budget? Au-delà des discours, on ne voit pas le moindre signe d’un vrai changement de politique« , estime Marcio Astrini, secrétaire exécutif de l’Observatoire du Climat, un collectif d’ONG luttant contre le réchauffement climatique. Et les chiffres sont alarmants, avec une déforestation record au premier semestre, 25% supérieure aux six premiers mois de l’année dernière. En mai, le gouvernement a envoyé l’armée en Amazonie pour lutter contre les incendies qui la ravagent à chaque saison sèche. Mais le vice-président Mourao a reconnu que ces opérations avaient commencé « trop tard« . Résultat, le Brésil a connu son pire mois de juin depuis 13 ans pour les feux de forêt. Des incendies souvent provoqués par des agriculteurs pratiquant le brûlis sur les zones déboisées pour cultiver ou faire paître le bétail. Pourtant, la ministre de l’Agriculture Tereza Cristina a assuré récemment que le Brésil n’avait « pas besoin » de déboiser l’Amazonie pour développer l’immense potentiel agricole qui en fait l’un des greniers de la planète. Cette ministre qui défend ardemment les intérêts des géants de l’agro-alimentaire brésilien sait que son secteur dépend des exportations vers des pays de plus en plus réticents à acheter des produits « issus de la déforestation« .
Une étude publiée jeudi par la revue américaine Science a montré qu’un cinquième des exportations de soja et de viande bovine du Brésil vers l’Union européenne provenait de terres déboisées illégalement. Intitulée « Les pommes pourries de l‘agro-business brésilien« , cette étude est rendue publique dans un contexte de fortes réticences en Europe concernant la ratification de l’accord de libre-échange signé entre l’UE et les quatre pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), à cause de l’avancée de la déforestation amazonienne. L’étude a été réalisée par douze chercheurs au Brésil, en Allemagne et aux Etats-Unis, à l’aide d’un puissant logiciel qui a permis d’analyser 815.000 propriétés rurales et d’identifier des zones de déforestation illégale, surtout en Amazonie et dans le Cerrado, la grande savane du centre du pays. « Entre 18 et 22% – possiblement davantage – des exportations annuelles du Brésil vers l‘UE sont le fruit de la déforestation illégale« , affirme Raoni Rajão, responsable du projet et professeur de l’Université fédérale de Minas Gerais (UFMG). Près de deux millions de tonnes de soja issues de propriétés où il y a eu de la déforestation illégale arriveraient en Europe chaque année, indique l’étude. Les producteurs de soja ont rejeté ces allégations, rappelant un moratoire de 2006 qui interdit l’achat de soja aux agriculteurs qui l’auraient cultivé sur des zones déboisées d’Amazonie. « Le soja produit dans les zones déboisées illégalement (…) n’entre pas dans la chaîne productive du secteur« , et ne peut donc pas être exporté, a assuré dans un communiqué l’Abiove (Association brésilienne des industries des huiles végétales).
Pour ce qui est de la viande bovine, les auteurs ont trouvé que sur les 4,1 millions de têtes de bétail abattues par an, au moins 500.000 proviendraient de terres déboisées hors du cadre légal. Les auteurs relèvent cependant que « près de 80% des agriculteurs brésiliens respectent le code forestier » et que le nouveau logiciel pourrait aider à « prendre des mesures rapides et décisives contre les contrevenants« . Le Brésil a la capacité pour « devenir une puissance environnementale mondiale qui protège ses écosystèmes, en même temps qu’elle alimente le monde« , soulignent les auteurs. Le pays « en a déjà les moyens, il ne manque que la volonté politique« , ajoutent-ils. « Les jungles au Brésil se trouvent à un point de rupture« , prévient le professeur Britaldo Soares-Filho, co-auteur et également chercheur à l’UFMG. M. Soares attribue cette menace à « l‘impact des signaux politiques encourageant la déforestation et le fait d’accaparer les terres« , en référence au soutien du président d’extrême droite aux projets qui visent à ouvrir les territoires indigènes et des réserves naturelles protégées aux activités minières ou agricoles. « Le Brésil ne peut pas se permettre de s’isoler, il faut qu’il s’adapte aux changements de perception du monde sur les questions environnementales« , avertit Rubens Barbosa. « On ne peut pas parler de menace sur notre souveraineté. Le gouvernement Bolsonaro a signé de son plein gré l‘accord commercial entre le Mercosur et l‘Union européenne, qui contient un chapitre dédié au développement durable« , rappelle-t-il. « Le monde a changé, mais le gouvernement Bolsonaro continue de nager à contre-courant« , conclut Marcio Astrini.
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