Les pêcheurs privés de poisson du Yangtsé contraints à la reconversion

Photo d'illustration ©nanyicheng de Pixabay

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Le couperet est tombé : après des décennies de pollution et de surexploitation, Pékin a décrété l’interdiction de la pêche dans le Yangtsé, forçant à la reconversion des milliers de pêcheurs le long du plus grand fleuve de Chine.

Interdiction de pêcher les poissons du Yangtsé, les pêcheurs se voient forcés de se reconvertir dans des activités beaucoup moins rentables. Dans son petit bac pour piétons, Yang Zeqiang traverse un bras du fleuve qui sépare l’île de Zhongba du reste de la municipalité géante de Chongqing (sud-ouest). L’embarcation, achetée avec l’aide de l’État, doit lui permettre d’emmener des touristes sur son île. Mais en ce jour brumeux, on ne se bouscule pas à bord. L’ancien pêcheur de 52 ans n’emmène que quelques gens du pays, chargés de sacs de céréales. À vol d’oiseau, la mer est encore à plus de 1.500 km à l’est, là où se trouve l’embouchure du troisième fleuve du monde, près de Shanghai. « La pêche, c’était dur. Mais j’aimais bien attraper du poisson. Ça me manque », confie-t-il à l’AFP. « J’ai grandi ici au bord du Yangtsé, où ma famille a pêché pendant des générations ». Jusqu’à cette année, lorsque le gouvernement chinois a imposé une interdiction de pêcher pendant 10 ans dans tout le bassin du fleuve géant, y compris ses affluents et les lacs qui lui sont reliés. Objectif : reconstituer la faune fluviale.

Comme les autres habitants de l’île, Yang Zeqiang espère survivre grâce au tourisme. Outre son bateau, il a reconverti sa maison en auberge et en salle de jeux. Mais ses nouvelles activités ne lui rapporteront guère plus de 20.000 yuans cette année (2.500 euros), le quart de ce qu’il gagnait en vendant du poisson. Juste à côté, dans l’immense province du Sichuan, des dizaines de milliers de bateaux de pêche ont été détruits ou sont sur le point de l’être. Plus de 16.400 pêcheurs ont perdu leur permis de pêche. Dans le petit village de Yang Zeqiang, des banderoles rouges rappellent le mot d’ordre : « Pas de pêche, soyons fiers de protéger le poisson« . La plupart des habitants rencontrés par l’AFP disent comprendre la nécessité de protéger la ressource, dans un bassin qui assurait jadis 60% de la consommation nationale de poissons d’eau douce.

Mais la fin de la pêche frappe le gagne-pain de près de 300.000 foyers. « Quand on pêchait, on gagnait plus« , témoigne Zhao Zejin, un ancien pêcheur de 71 ans qui vend désormais des graines aux agriculteurs. « Le niveau de vie était meilleur ». « Depuis l’interdiction, les pêcheurs de l’île cherchent tous du travail », explique Zhao Huaiping, un autre riverain. « Mais nous sommes vieux et personne ne veut nous embaucher ».

Le développement effréné de la Chine ces 40 dernières années a rempli le Yangtsé de produits chimiques et de déchets en tout genre. Le plus long fleuve d’Asie est le premier contributeur mondial de plastique dans les océans. Les 11 barrages sur son parcours ont perturbé l’écosystème, particulièrement la migration du poisson. Quatre espèces qui ne vivaient que dans le Yangtsé ont disparu et 61 autres sont menacées, selon un rapport du WWF publié cette année. L’emblématique marsouin aptère (sans nageoire dorsale) n’y existerait plus qu’à quelques centaines de spécimens. Face au désastre, la survie du Yangtsé est devenue une priorité nationale. Ces dernières années, les programmes de protection se sont multipliés, avec la fermeture d’usines chimiques ou l’ouverture de réserves naturelles. Mais « l’interdiction de la pêche ne suffira pas à transformer le Yangtsé en rivière saine« , avertit Sieren Ernst, qui dirige depuis Washington le Climate Cost Project, une organisation écologiste. « Ce qu’il faudrait, c’est un programme global de gestion de l’écosystème pour l’ensemble du bassin du Yangtsé, qui veillerait sur la santé biologique dans la région, y compris celle des humains », plaide-t-elle.

Des sanctions sont déjà tombées pour ceux qui bravent l’interdiction. Treize pêcheurs ont été condamnés ce mois-ci. L’État offre des aides à la reconversion. Les autorités locales ont payé la moitié du bateau de Yang Zeqiang et font la réclame de son auberge sur leur site internet. Mais les infrastructures ne suivent pas toujours. Seule une piste tortueuse conduit au quai d’où on embarque pour l’île de Zhongba. Et les habitants se demandent comment ils vont attirer les touristes — d’autant moins qu’ils ne pourront leur servir les spécialités locales. « Beaucoup de clients réclament des poissons du Yangtsé », explique M. Yang. « Je leur explique qu’on ne peut plus en manger, qu’il n’y a pas de poissonnier et que je n’ai pas le droit de pêcher ». En attendant, M. Yang a 100.000 yuans (12.500 euros) de dettes à rembourser. « L’interdiction de la pêche est une politique de l’État« , soupire-t-il. « On n’a pas le choix ».