Dans un entretien au Monde, le philisophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), éclaire brutalement la crise actuelle. Peu à peu, la dimension écologique de la pandémie apparaît dans certains médias (même si d’autres résistent obstinément).
C’est une interview décapante d’Emanuele Coccia que publie Le Monde ! « A la différence de ce que nous voudrions imaginer, cette pandémie est la conséquence de nos péchés écologiques : ce n’est pas un fléau divin que la Terre nous envoie, déclare notamment le philosophe. Elle est juste la conséquence du fait que toute vie est exposée à la vie des autres, que tout corps héberge la vie des autres espèces, est susceptible d’être privé de la vie qui l’anime. Personne, parmi les vivants, n’est chez soi : la vie qui est au fond de nous et qui nous anime est beaucoup plus ancienne que notre corps, et elle est aussi plus jeune, car elle continuera à vivre lorsque notre corps se décomposera ».
Cette crise, pour Coccia, met à mal l’illusion d’une espèce humaine qui dominerait la nature : « Pour la première fois depuis très longtemps – et à une échelle planétaire, globale–, nous rencontrons quelque chose dont la puissance est bien supérieure à la nôtre et qui parvient à nous mettre à l’arrêt pendant des mois. D’autant plus qu’il s’agit du virus, c’est-à-dire du plus ambigu des êtres sur Terre, celui pour lequel on a du mal même à parler de « vivant ».
Et le philosophe conclut : « cet agrégat de matériel génétique en liberté[le virus] a fait s’agenouiller la civilisation humaine techniquement la plus développée de l’histoire de la planète. Nous avons rêvé d’être les seuls responsables de la destruction. Nous faisons l’expérience que la Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures. C’est très libérateur : nous sommes enfin libérés de cette illusion de toute-puissance qui nous oblige à nous imaginer comme le début et la fin de tout événement planétaire, dans le bien comme dans le mal, à nier que la réalité en face de nous soit autonome par rapport à nous. Même une minuscule portion de matière organisée est capable de nous menacer. La Terre et sa vie n’ont pas besoin de nous pour imposer des ordres, inventer des formes, changer de direction ».
Cette interview d’Emanuele Coccia fait partie d’une série d’articles publiés depuis une semaine dans Le Monde, qui rendent compte de l’ancrage et des implications écologiques de la pandémie (plus de trois mois après son apparition, tout de même…). Ainsi, dans un autre entretien, l’écologue Philippe Grandcolas rappelle que « la majorité[des épidémies qui ont émergé depuis une vingtaine d’années] sont des zoonoses : des maladies produites par la transmission d’un agent pathogène entre animaux et humains. Les pionniers des travaux sur les parasites les étudient depuis le début du XXe siècle. Mais la prise de conscience de leur lien avec l’écologie au sens scientifique du terme date d’il y a quarante à cinquante ans. Aujourd’hui, nous savons qu’il ne s’agit pas que d’un problème médical. L’émergence de ces maladies infectieuses correspond à notre emprise grandissante sur les milieux naturels. On déforeste, on met en contact des animaux sauvages chassés de leur habitat naturel avec des élevages domestiques dans des écosystèmes déséquilibrés, proches de zones périurbaines. On offre ainsi à des agents infectieux des nouvelles chaînes de transmission et de recompositions possibles ».
Dans le même quotidien, la journaliste Perrine Mouterde explique pourquoi la dégradation de la biodiversité favorise l’émergence de nouvelles maladies : Dans des travaux publiés en 2008, la chercheuse britannique Kate Jones et son équipe ont identifié 335 maladies infectieuses émergentes apparues entre 1940 et 2004 : 60 % d’entre elles trouvaient leur origine dans la faune. Parmi ces pathogènes, le virus Marburg, apparu en Allemagne en 1967 ; le virus Ebola, détecté pour la première fois en 1976 au Zaïre – aujourd’hui République démocratique du Congo (RDC) – ; le virus du sida, découvert aux Etats-Unis en 1981 ; Hendra, identifié en Australie en 1994 ; le virus SARS, responsable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2002, en Chine ; le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) en Arabie saoudite en 2012… (…) Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’augmentation des maladies infectieuses émergentes coïncide avec la croissance accélérée des taux de déforestation tropicale enregistrés ces dernières décennies. Plus de 250 millions d’hectares ont disparu en quarante ans. Les forêts tropicales, parce qu’elles sont particulièrement riches en biodiversité, sont aussi très riches en micro-organismes. Mais tous ne sont pas pathogènes : au contraire, l’immense majorité d’entre eux ont des fonctions essentielles et positives ».
Dans Le Figaro, le chroniqueur Renaud Girard met l’accent sur une autre crise sanitaire en cours, tout aussi menaçante que le Covid-19, mais étrangement absente des radars médiatiques : « les pays d’Afrique de l’Est et des Grands Lacs viennent de voir leurs cultures ravagées par une invasion de milliards de criquets pèlerins. Les essaims font la taille du Grand Paris et dévorent quotidiennement l’équivalent nutritif de ce que consomment les Parisiens. Ce fléau va provoquer une famine qui tuera bien davantage que le Covid-19. Curieusement, les médias en parlent très peu: le premier est une plaie pour pays pauvres, le second une maladie de pays riches ».
Dans ce lent éveil des médias à la réalité écologique de la pandémie actuelle, Libération fait de la résistance : « L’atmosphère lugubre qui prévaut sur cette planète confinée a effectivement un air de fin du monde, écrit son directeur Laurent Joffrin. Mais la pandémie de coronavirus a peu à voir avec une crise écologique (ce qui laisse entier l’impératif de lutte contre le dérèglement climatique). Le virus est passé de l’animal aux humains : c’est la nature qui agresse les hommes et les femmes et non le contraire ». Pour en arriver à cette conclusion étonnante, Laurent Joffrin doit maltraiter les propos de l’historien Jean-Baptiste Fressoz, qui indique seulement que la crise n’est pas une conséquence… du changement climatique !
Le Monde– Coronavirus : la dégradation de la biodiversité en question :
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Le Figaro – La chronique de Renaud Girard
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