En Chine, des « asticots gloutons » contre les déchets alimentaires

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La Chine croule sous les déchets de cuisine: près de 30 kilos par habitant chaque année. Pour recycler ces nutriments dans la chaîne alimentaire, les élevages d’asticots « gloutons » dévoreurs d’ordures s’y multiplient.

Dans une ferme de la province du Sichuan (sud-ouest), des milliers de larves blanches grouillent dans des bacs remplis de restes brunâtres de viande, légumes, fruits, oeufs, nouilles ou riz. « En moyenne, un kilo d’asticots peut manger deux kilos de déchets en quatre heures », explique Hu Rong, la gérante de cet élevage situé près de la ville de Pengshan. Ces larves voraces sont celles de la « mouche soldat noire » (Hermetia illucens), originaire du continent américain. Ces insectes sont connus comme les champions du monde de la digestion de « mets » un peu particuliers: déchets alimentaires, excréments, cadavres d’animaux et globalement toute matière organique en décomposition. « Si vous mettez un poisson dedans, il ne ressort que son squelette blanc », sourit Wang Jinhua, directeur de Chengwei Environment, entreprise qui récupère les restes de 2.000 restaurants de la métropole de Chengdu, puis en vend à Mme Hu. Le gaspillage de nourriture, problème mondial, est particulièrement grave en Chine pour des raisons culturelles, explique-t-il. « Quand on invite au restaurant, la coutume veut qu’on commande toujours plus de plats que nécessaire, pour montrer son hospitalité. Et forcément, ce qui reste est jeté ».

Poulets et poissons

Et même s’il est courant après un repas d’emporter ses restes dans une barquette en plastique, « les quantités jetées restent tout de même plusieurs fois supérieures à celles enregistrées à l’étranger », souligne-t-il. En Chine, chaque citadin produit 150 grammes de déchets de table en moyenne par jour, selon des statistiques officielles, un chiffre en augmentation. Chaque année, ce sont 40 millions de tonnes de déchets qui sont produites à l’échelle du pays (soit 29 kilos par personne).

L’intérêt de la mouche soldat noire, bestiole plutôt longue et fine, ne se limite cependant pas à l’élimination physique des déchets. Une fois engraissées, une partie des larves sont vendues vivantes ou séchées pour servir de nourriture animale (poulets, poissons, tortues). Elles sont intéressantes en raison de leur composition très nutritive (jusqu’à 63% de protéines et 36% de lipides). En clair, ces asticots permettent de récupérer les protéines et les graisses encore présentes dans les déchets, puis de les réinjecter dans le cycle alimentaire humain, via l’alimentation des animaux d’élevage. La Chine est l’un des pays les plus ouverts dans ce domaine, avec d’autres comme l’Australie ou l’Afrique du Sud, où nourrir poissons et poulets destinés aux assiettes humaines avec des insectes est autorisé. « Aux Etats-Unis, c’est plus restrictif. Tout comme dans l’Union européenne (UE), résume Christophe Derrien, secrétaire général de l’IPIFF, la fédération européenne des producteurs d’insectes. A partir de juillet 2017, il sera toutefois possible dans l’UE d’alimenter les élevages de poissons avec des protéines d’insectes transformées. C’est un premier pas encourageant, car l’UE s’ouvre de plus en plus », souligne M. Derrien. Ultime avantage: les excréments des larves peuvent être utilisés comme engrais bio dans l’agriculture.

Rentable ?

Les premières fermes à mouche soldat noire ont commencé à ouvrir il y a trois ans un peu partout en Chine. « Cette année, on espère ouvrir trois ou quatre nouveaux sites autour de Chengdu, prévoit M. Wang. L’idée, c’est de transformer ces déchets en substance utile. » L’intérêt n’est pas qu’environnemental, il est aussi économique. Grâce à la vente de larves vivantes et d’engrais, Hu Rong vit confortablement. Après avoir réglé les coûts (achats des déchets, électricité, main d’oeuvre, livraison), elle dit conserver un revenu annuel de 200.000 à 300.000 yuans (2.200 à 3.400 euros par mois), une importante somme en Chine.

Le retraitement des déchets alimentaires, voie économique d’avenir? Les huiles de cuisson des restaurants, parfois réutilisées illégalement en Chine, pourraient à moyen terme être elles aussi recyclées. Le géant pétrolier Sinopec vient d’annoncer la construction en 2018 à Ningbo, dans la province du Zhejiang (est), d’une usine visant à les recycler en biocarburant pour les avions de ligne, une alternative bio au kérosène.