Comment sauver les huîtres, moules, palourdes et autres coquillages décimés par les maladies et les parasites? « Vivaldi », un consortium européen réunissant une centaine de scientifiques, piloté depuis le sud-ouest de la France, mène l’enquête.
L’ensemble de la filière conchylicole de l’Union européenne (UE) est concernée: depuis une dizaine d’années, une surmortalité des huîtres creuses et plates, juvéniles et adultes, donc commercialisables, est observée en France, en Espagne, en Italie et en Irlande. Même constat préoccupant pour les palourdes, les coques et, dans une moindre mesure, les coquilles Saint-Jacques. Pour sauver la profession et les assiettes des gastronomes, la Commission européenne a lancé un appel d’offres, remporté en 2016 par un consortium de 21 partenaires issus de onze pays européens, regroupés au sein du projet « Vivaldi ». Chef d’orchestre de cet ensemble d’une centaine de scientifiques, une antenne de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) à La Tremblade, dans le sud-ouest, où Isabelle Arzul, spécialiste en parasitologie, coordonne les recherches entamées voici plus d’un an. « Nous n’étudions pas les causes de mortalité mais la détection et la description des maladies pour savoir comment prévenir et diminuer leur impact sur les coquillages », souligne la chercheuse. L’un des principaux objectifs de « Vivaldi » est de produire une famille d’huîtres creuses génétiquement plus résistante aux maladies. « C’est aussi le cas pour la palourde et c’est une première », assure Isabelle Arzul.
Pour cela, les chercheurs infectent des mollusques et observent comment ils se défendent: « Il y a sans doute toujours eu co-évolution entre coquillages et maladies. Mais aujourd’hui ça pose problème », résume-t-elle. Selon la scientifique, la fréquence de ces problèmes semble s’accentuer non seulement en Europe mais aussi en Australie ou en Nouvelle-Zélande. « C’est pourquoi Vivaldi fédère un réseau international avec la Chine, l’Afrique du sud, les deux Amériques, le Japon, etc., pour améliorer les connaissances », explique la chercheuse.
« Désarmés »
« Vivaldi » ne rendra son rapport qu’en 2020 mais a déjà engrangé de premiers résultats: « Nous avons mis au point des capteurs capables de détecter l’ADN des virus, des bandes plastiques qui sont plongées dans l’eau pendant quinze jours. Cela n’avait jamais été fait avant », indique Isabelle Arzul. Acidité des eaux, pollution, augmentation de la température de la mer : « Vivaldi » a ciblé ses recherches sur un certain nombre de facteurs environnementaux jouant un rôle dans les épidémies récentes. « On observe un déplacement de l’aire de reproduction de l’huître creuse vers le nord. On trouve désormais des sites en Norvège », sous l’effet du réchauffement climatique, autant de déséquilibres qui peuvent perturber les cycles des bivalves et les rendre plus vulnérables.
Les scientifiques scrutent aussi les évolutions dans les pratiques des conchyliculteurs. « Les coquillages sont déplacés jusqu’à neuf fois au cours d’un cycle de production: naissance en France ou au Royaume-Uni, croissance en Bretagne, affinage au Portugal ou en Espagne… Cela peut favoriser l’émergence d’organismes pathogènes, qui peuvent s’accrocher à un coquillage et ainsi voyager », explique Isabelle Arzul. L’enquête s’annonce longue et aussi complexe que les écosystèmes concernés. Mais les conclusions de ces travaux, même incomplets, sont très attendues par les professionnels de la filière. « En matière de connaissance des milieux, on est assez désarmés, reconnaît Gérald Viaud, ostréiculteur et président du Comité national de la conchyliculture. Nous sommes dans un milieu ouvert — vent, marées, courants – c’est difficile à maîtriser. En tant que professionnel, ce qui me touche, c’est la relation entre l’environnement, l’animal et l’agent pathogène. Mais si le milieu se dégrade, même avec les meilleurs animaux, au bout d’un moment on a la même punition… », déplore-t-il.