Polluants toujours plus nombreux, raréfaction de la ressource: alors que les coûts de gestion de l’eau explosent pour des collectivités de plus en plus endettées, le numéro un mondial de l’eau Veolia passe à l’offensive pour conquérir de nouveaux marchés.
Au bord de l’Oise, à quelques mètres d’une usine d’eau potable rutilante et devant un parterre d’investisseurs, d’élus et de journalistes, la directrice générale de Veolia, Estelle Brachlianoff, énumère tous les investissements à réaliser pour adapter la gestion de l’eau aux conséquences du réchauffement climatique.
L’assistance est réunie à Méry-sur-Oise, à côté d’une des trois usines du Syndicat des eaux d’Ile-de-France, un contrat détenu depuis un siècle par Veolia.
Si le groupe est présent dans le monde entier, la France, son pays d’origine, représente encore près de 20% de son chiffre d’affaires, tous métiers confondus. L’eau municipale, activité historique, a représenté en 2023 quelque 3 milliards d’euros rien que dans l’Hexagone, beaucoup plus en y ajoutant d’autres activités, très imbriquées, comme les technologies de l’eau.
Rattrapage de prix
Selon Mme Brachlianoff, au cours des dix dernières années, les prix de l’eau en régies publiques « ont augmenté trois fois plus vite que quand c’était opéré par des entreprises spécialisées comme Veolia ».
Une tendance que confirme l’Observatoire national des services de l’eau et d’assainissement (Sispea), de manière un peu nuancée toutefois: entre 2009 et 2021, les tarifs de l’alimentation en eau potable ont augmenté de 25% en moyenne pour les régies publiques, une cadence deux fois plus importante que pour les délégations de service public (DSP, +13%).
Mais « il s’agit davantage d’un rattrapage », explique à l’AFP Mélissa Bellier, conseillère technique de la FNCCR, association de collectivités territoriales, qui regroupe des adhérents en régies et en DSP.
« Historiquement, il y avait beaucoup de petites régies communales qui fonctionnaient avec des prix très bas mais un service minimum, » et il y a « des tarifs qui sont tout à fait intéressants dans des structures en gestion publique », ajoute-t-elle.
Les régies, qui fournissaient en 2022 quelque 43% de la population française, ont vu leurs rangs grossir ces dernières années, avec l’arrivée de grosses agglomérations comme Lyon ou Bordeaux, même si d’autres communes ont fait le chemin inverse.
Nouveaux modes de gouvernance
Mais cette volonté, souvent affichée, de se réapproprier le « bien commun » qu’est l’eau, relève souvent de la gageure : « en France, aujourd’hui, on a des taux de fuite assez élevés, de l’ordre de 20% en moyenne, mais ça peut monter jusqu’à plus de 50% », souligne Stéphane Saussier, professeur d’économie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialisé dans les partenariats public-privé et les concessions.
Prises en étau entre les travaux à mener et la nécessité d’inciter leurs administrés à consommer moins, les communes se retrouvent « d’un côté à augmenter les coûts, de l’autre à réduire les recettes », souligne M. Saussier.
Face à ce mur d’investissements, Veolia se targue, du fait de son envergure mondiale, d’obtenir « des prix bien meilleurs » pour des produits essentiels comme les traitements chimiques, selon Mme Brachlianoff, qui met également en avant la puissance d’innovation de son groupe, principal déposant de brevets dans ce domaine dans le monde.
Un argument que réfute Hervé Paul, président de la régie de la métropole de Nice, selon qui « tous les grands services d’eau » achètent ensemble pour « obtenir des conditions économiques comparables à celles des grands groupes ».
Face aux ravages de l’inflation, le réseau France Eau Publique, qui regroupe 123 collectivités et opérateurs publics de l’eau et de l’assainissement, a néanmoins tiré la sonnette d’alarme il y a un an, réclamant notamment aux pouvoirs publics un taux de TVA réduit pour limiter la hausse de la facture pour les ménages. Un appel resté lettre morte.
« Si on fait la transition, ça veut dire qu’on baisse les volumes, et donc on baisse les recettes, et donc sans compensation, ça ne marchera pas », estime Alexandre Mayol, maître de conférence à l’université de Lorraine, qui prône de nouveaux modes de gestion, notamment de « régie intéressée », avec des objectifs dont la réalisation est sanctionnée par des primes ou dans le cas contraire des pénalités, comme dans les déchets.
Ce système de « malus financier » figure notamment dans le contrat conclu par la Métropole de Lille avec Veolia lors de sa reconduction comme opérateur l’an passé.