Le fioul plus propre des navires accélérerait le réchauffement climatique, selon une étude

Freddy de Pixabay

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Freddy de Pixabay
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La dépollution du carburant des navires accélère-t-elle le réchauffement climatique? Au cœur d’une controverse scientifique depuis un an, cette question a trouvé un nouvel écho jeudi, avec la publication d’une étude pointant le rôle de cette nouvelle réglementation sur les températures record de 2023.

Cette réglementation de l’Organisation maritime internationale (OMI), qui a abaissé fortement la teneur en soufre du fioul des navires depuis le 1er janvier 2020, a « contribué au réchauffement anormal que nous avons connu en 2023 et 2024″, a déclaré à l’AFP Tianle Yuan, chercheur à l’Université du Maryland et auteur principal de cette étude américaine, publiée dans la revue Communications Earth & Environment.

Il s’agit d' »un effet réchauffant important » qui « va pratiquement doubler le taux de réchauffement pour les années 2020 », a souligné M. Yuan, en pointant « un impact particulièrement fort sur l’Atlantique Nord », un océan marqué en 2023 par des canicules marines inédites.

Ce phénomène trouverait sa source dans l’effet refroidissant des dioxydes de soufre, émis lors de la combustion de fioul lourd par les navires. Ces aérosols contribuent à réfléchir et à absorber les rayons du soleil et favorisent la formation des nuages, qui absorbent moins de chaleur que les océans. Le soufre émis par les navires atténue ainsi le réchauffement climatique, lui-même dû à l’accumulation des gaz à effet de serre émis par les activités humaines.

Instaurée pour améliorer la qualité de l’air, la réglementation de l’OMI a été particulièrement efficace, en réduisant de 80% les émissions de soufre du transport maritime depuis 2020, souligne l’étude, qui estime qu’elle pourrait cependant provoquer une hausse de la température mondiale de 0,16°C sur sept ans.

Cette publication intervient alors que la planète enchaîne les records de chaleur depuis juin 2023, en particulier à la surface des océans, qui ont atteint un plus haut absolu en mars 2024 (21,07°C).

« choc terminal »

Les auteurs de l’étude comparent la réglementation  de l’OMI au « choc terminal » et « involontaire » d’une expérience de géo-ingénierie. Cette science de la manipulation du climat, qui vise à contrer les effets du réchauffement climatique, étudie en effet l’injection d’aérosols à grande échelle dans l’atmosphère ou l’éclaircissement des nuages marins pour qu’ils réfléchissent mieux les rayons du soleil.

Les auteurs estiment d’ailleurs que leurs résultats suggèrent que « l’éclaircissement des nuages marins peut être une méthode viable de géo-ingénierie pour refroidir temporairement l’atmosphère ».

« Ça faisait longtemps qu’on attendait un réchauffement associé à l’amélioration de la qualité de l’air. On appelait ça la « climate penalty » (peine climatique, ndlr) des politiques de qualité de l’air », a remarqué Nicolas Bellouin, professeur en climatologie à l’Université de Reading (Royaume-Uni).

« L’industrie maritime avait même misé là-dessus, sans succès, pour éviter de devoir utiliser des carburants plus propres, donc plus chers », a rappelé le chercheur qui n’a pas participé à cette étude, qu’il juge « plus solide scientifiquement que les études précédentes ».

« Mais je pense que la contribution » de la baisse des émissions des navires « à l’anomalie de (température de) 2023 et aux taux de réchauffement à venir reste une question ouverte », ajoute-t-il, en pointant certaines limites de l’étude.

Cela fait près d’un an que la question agite la communauté scientifique. Jusqu’à présent, la plupart des climatologues estimaient que la réduction des émissions du secteur maritime ne pouvait expliquer qu’une petite partie de la hausse des températures, de l’ordre de quelques centièmes de degré, selon un article, souvent cité, publié par Carbon Brief .

« Il y a peu de débat sur le fait que les aérosols refroidissent le climat, mais il y a beaucoup d’incertitudes sur l’ampleur de cet effet refroidissant », a ainsi souligné Edward Gryspeerdt, chercheur à l’Imperial College de Londres, cité par le Science Media Centre britannique.

« L’histoire nous a montré que des variabilités naturelles ont été surinterprétées dans le passé », a ajouté à l’AFP Jean-Louis Dufresne, climatologue, directeur de recherche au CNRS, qui estime « compliqué » d’analyser « de petites perturbations sur des courtes périodes de temps ».