Trois questions à Mathieu Molières, naturaliste chargé de projet Papillon-Libellules auprès de l’association aquitaine Cistude Nature
Un petit papillon marron aux ocelles « rigolotes« , plutôt « casanier« , « pas nerveux« , et qui se laisse approcher, est depuis quelques années un emblème des zones humides en péril et de la biodiversité qui s’y perd, même si certains bastions suggèrent que l’on peut « limiter la casse« . Le « Fadet des laîches » (Coenonympha oedippus), espèce « en danger » sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), arrive « à se maintenir« , quoique « vulnérable« , dans des fiefs comme la Nouvelle-Aquitaine, mais quelques « patches » protégés ne suffiront pas, estime Mathieu Molières, naturaliste chargé de projet Papillon-Libellules auprès de l’association aquitaine Cistude Nature, qui suit le Fadet de près.
AFP : Que nous dit le Fadet des laîches sur l’état de la biodiversité ?
Mathieu Molières : « Le Fadet est souvent cité comme un des papillons les plus menacés d’Europe; il avait une zone de répartition très vaste jusqu’au milieu du 20e siècle, puis on a vu les populations s’effondrer (jusqu’à 80% selon certaines études, NDLR). C’est un papillon de zones humides, landes, tourbières, celles qui ont payé le plus lourd tribut à la destruction des milieux. Principalement à cause de l’agriculture qui les a fait disparaître, drainées puis cultivées, et dans une moindre mesure l’urbanisation. Le Fadet arrive à se maintenir dans quelques petits endroits en Europe. En Aquitaine on a un gros bastion sur Landes-Gironde, mais dès qu’on en sort il devient une rareté absolue, mis à part des poches dans le Centre, vers les étangs de Brenne, et Rhône-Alpes. Donc l’Aquitaine a une forte responsabilité vis-à- vis de l’espèce. Si le Fadet vient à y disparaitre, on aura perdu un des gros bastions en Europe. Du coup il a beaucoup été étudié, on en a fait un peu une +espèce porte-drapeau+, un emblème des landes humides, et des espèces de ces milieux-là ».
AFP : Précisément, le « maintien » du Fadet par endroits suggère-t-il qu’il y a espoir pour enrayer le déclin ?
Mathieu Molières : « De l’espoir malheureusement, chez les papillons, il n’y en pas beaucoup… Mais le Fadet est l’illustration qu’on peut +limiter la casse+ localement en mettant en place une gestion conservatoire des milieux. Que cela passe par un gestion hydrodynamique -conserver l’eau en bouchant des drains-, ou du débroussaillage, de l’entretien, pour préserver des landes humides ou tourbières, et éviter le reboisement de ces zones de vie, qui aurait tendance à se faire naturellement, faute de régulation +naturelle+ comme jadis par des grands mammifères herbivores. On surveille régulièrement le niveau des nappes, mais on a parfois du mal à agir, il faudrait contrôler à l’échelle d’un bassin hydrographique. Mais on aura beau faire ce qu’on peut, protéger de petites zones, des patches ici et là, si on continue à pulvériser insecticides, pesticides, ça ne servira pas à grand chose. Le challenge N. 1 c’est pas de réduire, mais de stopper, vite ».
AFP : Que signifierait la disparition du Fadet ?
Mathieu Molières : « On nous demande souvent à quoi ça sert un papillon ? D’abord ce sont des pollinisateurs. Et ça nourrit quand même beaucoup de monde, un papillon… Si on enlève les papillons, on enlève une bonne partie du garde manger à plein d’oiseaux. Les mésanges qui mangent les chenilles, les passereaux qui mangent les papillons adultes… Donc ces oiseaux-là vont disparaitre. Si ces oiseaux disparaissent, qu’est-ce qui va arriver en terme de mammifères qui mangent ces oiseaux ? Les insectes sont à la base de tout cela. Si on enlève la base de quelque chose généralement ce quelque chose s’écroule. C’est tout ça qu’il faut prendre en compte, même si c’est difficilement mesurable, calculable, même par les scientifiques. Ce qu’on sait, qui est chiffré, c’est que les populations s’écroulent, à une vitesse incroyable ».
Propos recueillis
par l’AFP