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Trois questions à Marc Ancrenaz, président de l’association Hutan

ANES : l’ONG française Hutan, que vous présidez, opère dans la partie malaisienne de l’île de Bornéo, particulièrement affectée par la déforestation liée à la production d’huile de palme. Comment intervenez-vous sur le terrain ?

Marc Ancrenaz : nous employons plus de 60 personnes issues des communautés locales. Notre approche est communautaire, elle consiste à faire en sorte que l’homme et l’animal puissent coexister dans les zones non protégées. Quand on parle de grands mammifères comme l’éléphant ou l’orang outan, le réseau d’aires protégées ne sera jamais suffisant pour leur assurer des conditions viables à long terme. Notre association s’occupe donc d’essayer de trouver des modes de gestion des terres qui permettent à la fois à l’homme de vivre et aux animaux de survivre. Nous travaillons beaucoup sur la dynamique des conflits homme-animal par exemple.

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Une de nos équipes travaille sur les orangs outans sauvages : on les suit et on essaie de comprendre quels sont leurs besoins écologiques dans des milieux bouleversés par l’exploitation industrielle des terres. Une autre équipe travaille sur les éléphants, avec une problématique centrée juste sur les conflits, une autre équipe fait de la reforestation, elle s’attache à recréer des corridors de forêts pour relier entre eux des fragments forestiers isolés dans les paysages agricoles. Un autre service fait de la sensibilisation et de l’éducation dans les écoles de Sabah : ils vont parler de la conservation des espèces, ce sont 20 à 30 000 enfants qui sont atteints tous les ans par nos efforts. Nous avons aussi une équipe qui fait des patrouilles et qui fait respecter la loi. Nous faisons beaucoup de surveillance de la biodiversité, par exemple des programmes avec les calaos qui sont de grands oiseaux asiatiques : nous avons mis au point des nids artificiels pour abriter la reproduction de ces oiseaux asiatiques, car dans les zones de forêt très dégradées il n’y a plus d’arbres assez grands pour permettre aux oiseaux de trouver des cavités adéquates. Nous travaillons encore sur la protection des hirondelles, qui produisent des nids utilisés par la pharmacopée chinoise pour faire de la soupe : nous protégeons les colonies de la destruction volontaire de ces nids. Nous avons aussi un programme qui s’attache à acheter des terrains pour créer des corridors naturels pour relier des fragments forestiers, et je passe aussi beaucoup de mon temps à travailler avec le gouvernement et les industriels pour développer des plans de gestion, des documents officiels qui permettent soit au gouvernement soit à l’industrie de mieux gérer les ressources.

Ce qui nous intéresse à Houtan c’est de travailler à l’interface homme-animal dans les zones non protégées pour voir comment l’homme et l’animal peuvent coexister dans ces zones. Je pense que c’est l’avenir de la biodiversité. Il est évidemment nécessaire d’avoir des zones protégées mais ce n’est pas suffisant. Si dès qu’ils sortent des zones protégées les animaux se font détruire, on va se retrouver à terme dans une situation où les zones protégées seront isolées les unes des autres, avec des problèmes de consanguinité, etc.

ANES : pour protéger les grands mammifères des effets de la déforestation, il faudrait donc se passer d’huile de palme ?

Marc Ancrenaz : Il est très clair que l’huile de palme est responsable de déforestation. Au niveau global la déforestation liée l’huile de palme est minime : cette production ne correspond qu’a un faible pourcentage de la déforestation importée en France : huile de palme 3 %, bois et papier 50%, soja 19%, bétail 15%, cacao 10%,… Par contre au niveau local, à Sabah où je travaille, l’huile de palme est responsable à 50 % de la déforestation. Sur la Malaisie et l’Indonésie il est sûr que l’huile de palme a un impact majeur. Il faut donc remettre les choses dans leur contexte et identifier l’huile de palme comme étant l’un moteur de la déforestation, mais il y en a d’autres ! En Europe on a beaucoup utilisé le boycott de l’huile de palme. Je pense que cette arme a été efficace pour faire prendre conscience à l’industrie des limites de ses pratiques traditionnelles, mais les industriels sont en train de changer. Ils se rendent compte qu’ils perdent un marché à cause de leurs pratiques non-durables, et depuis quelques années, c’est vraiment récent, on assiste à des changements de la part de nombreux acteurs de cette industrie, qui essaient de changer leurs pratiques. C’est pourquoi je pense qu’aujourd’hui il devient beaucoup plus efficace de les accompagner dans leur démarche plutôt que de continuer à s‘opposer. Ca fait 20 ans que je suis à Sabah, 20 ans que les ONG internationale se battent contre l’huile de palme et ça n’a pas arrêté la déforestation. Ca ne marche pas parce que l’huile de palme permet de produire une huile très bon marché et en grande quantité. Je pense qu’il est essentiel de s’engager avec les industriels pour les pousser à adopter des techniques de production plus durables. Le boycott a joué son rôle, il a créé une grosse pression sur l’industrie et c’était nécessaire. L’un des résultats de cette lutte a été la création de la certification RSPO (Roundtable on sustainable palm oil). La certification n’est pas parfaite, mais elle s’améliore. De nouveaux critères ont été votés tout récemment, en décembre : non-déforestation, pas d’exploitation dans les zones humides etc. Les gros industriels qui veulent continuer d’exporter vers l’Europe ou les Etats-Unis doivent être certifiés RSPO c’est à dire suivre un cahier des charges de plus en plus strict. C’est pourquoi je pense qu’aujourd’hui il est plus efficace de promouvoir la certification même s’il y a encore des progrès à faire là-dessus parce que c’est quelque chose vers quoi se dirige l’industrie. Si les industriels n’arrivent plus à vendre leur huile certifiée, s’ils n’ont plus d’intérêt à essayer d’utiliser la certification ils vont s’en éloigner et se retourner vers d’autres marchés, le marché indien, le marché chinois qui sont moins regardants.

Attention : je parle exclusivement de l’huile de palme en tant que ressource alimentaire. En revanche, l’huile de palme comme source d’énergie, ça c’est une hérésie totale. Produire de l’huile de palme pour mettre dans nos voitures… Les agrocarburants gèlent les terres jusque-là affectées à la production alimentaire, et ça ce n’est clairement pas acceptable.

ANES : pour les communautés auprès desquelles vous travaillez, quel est l’impact de la culture du palmier à huile ?

Marc Ancrenaz : quand on parle aux Malaisiens ou aux Indonésiens, ils n’arrêtent pas de dire que l’huile de palme est un moteur de développement socio-économique, ce qui est vrai… mais le diable se cache dans les détails ! Des études ont prouvé que dans certains cas c’est un moteur de développement matériel, par contre dans d’autres cas ça détruit l’environnement des communautés forestières, puisque la forêt est coupée et remplacée par des palmes, ce qui pose des problèmes d’environnement, d’accès à l’eau propre etc.  Dans ces cas-là l’huile de palme n’a pas du tout contribué au développement humain. Mais de façon globale on ne peut pas nier que l’huile de palme a aidé au développement économique de la Malaisie.

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Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko