Haïdar el Ali avec les lionceaux de la Réserve de Fatalah
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Trois questions à Haïdar El Ali, écologiste sénégalais.

ANES : vous avez été ministre de l’Ecologie au Sénégal et président de l’Oceanium de Dakar, une association travaillant sur la protection et la conservation des ressources naturelles. Quelles sont les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la nature sénégalaise ?

Haïdar El Ali : la menace principale est la même que partout dans le monde : le mode de fonctionnement de la société est basé sur une accumulation des biens, de la richesse, qui ne sont que la transformation de la ressource – forestière, minière, halieutique, pétrolière, etc… – et donc, la destruction de la planète. Pour être plus précis, en ce qui concerne le Sénégal, le plus gros problème est le trafic de bois vers la Chine. Dans ce pays, ils ont interdit la coupe du bois, aussi toutes les entreprises chinoises se sont réfugiées en Afrique pour piller nos ressources. La douane chinoise le dit elle-même : elle importe du bois à hauteur de 140 milliards de Francs CFA (environ 213 millions d’euros) par an depuis la Gambie. Sauf que la Gambie est un petit pays limitrophe du Sénégal, au niveau de la Casamance, et que les forestiers viennent allègrement se servir chez nous !

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Entre 2010 et 2015, une étude scientifique américaine a montré que le Sénégal, au niveau de sa frontière avec la Gambie, a perdu 10 000 ha de forêts. Tous les ans, depuis la Gambie, les Chinois exportent entre 5000 et 7000 conteneurs de bois. Les conséquences sont multiples. La disparition de la forêt détruit l’habitat de milliers d’espèces et appauvrit le sol, qui est laissé à la merci des intempéries et se transforme en désert. Les populations locales sont aussi en premières lignes des conséquences de ce fléau : ce sont soit des agriculteurs, soit des éleveurs, soit des cueilleurs. Les premiers voient leur production baisser avec l’acidification des sols, les seconds n’ont plus de tapis herbacés – partis en fumée avec les feux de brousse – pour nourrir leur bétail et les derniers ne trouvent plus de fruits à bonne valeur marchande. Les intérêts particuliers pillent le bien commun à leur profit.

ANES : vous venez de lancer l’opération « 100 millions de graines pour la Terre » au Sénégal. En quoi consiste-t-elle ?

Haïdar El Ali : nous sommes partis du constat que les arbres ont besoin des animaux, qui consomment leurs graines, pour leur dispersion. Le problème, c’est que les animaux disparaissent, entre autres à cause du braconnage et de la destruction de leur habitat. Nous avons donc décidé de mener une opération de grande envergure pour les aider dans leur rôle de disperseurs. Nous récoltons des graines fruitières sauvages pour les replanter afin de faire pousser de nouveaux arbres. En 2018, pour faire un essai, nous avons dispersé 50 sacs de 50 kg chacun en Haute Casamance. Nous avons fait un comptage des arbres qui avaient germé sept mois après et les résultats se sont avérés très encourageants. A présent, on veut planter 100 millions de graines jusqu’à 2020. Tout est étudié : nous avons sélectionné des graines de 22 espèces d’arbres à développement rapide, d’intérêt écologique et pour les populations locales. Nous les jetons dans un écosystème qui leur est favorable, enrobées dans une gangue argileuse enrichie de poudre de charbon de bois et un liquide issu du lombri-compost. Les graines sont dispersées avec des lance-pierres. Lorsqu’il pleuvra, l’eau emportera la matière organique argileuse, qui servira au départ de la germination. On essaie donc d’imiter le mode de reproduction naturelle de la forêt. Pour récolter les graines, l’Oceanium anime un large réseau de personnes volontaires qui les prélèvent dans la nature, dans les villages, dans les poubelles des marchés publics, etc. Nous espérons avoir une vingtaine d’équipes véhiculées qui iront ensemencer dans la brousse profonde. Nous avons lancé une campagne de financement participatif pour récolter des fonds, mais rassurez-vous : nous n’attendons personne pour faire : Les 100 millions de graines seront plantées quoi qu’il en soit ; nous en avons déjà collectées 60 millions.

ANES : vous qui vous êtes essayé au deux, croyez-vous plutôt en l’action citoyenne et associative ou en l’engagement politique ?

Haïdar El Ali  : je pense que les deux sont nécessaires. Quand l’engagement politique a une volonté forte, un courage pour mener des actions à terme, il n’y a rien de plus puissant. Malheureusement, c’est ce courage qui fait défaut, car les lobbies sont trop puissants et mènent la politique à la baguette. L’action citoyenne est aussi fondamentale et devrait commencer par une réflexion globale sur notre mode de consommation, nos actions quotidiennes, envers et contre les opérations de communication qui nous « obligent à… », en dépit de la sagesse.

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Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain