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Trois questions à Xavier Le Roux, Président de BiodivERsA

ANES : BiodivERsA, qui vient de publier son bilan 2008-2018, est « le réseau européen des organismes de financement nationaux et régionaux qui promeuvent la recherche paneuropéenne sur la biodiversité et les services écosystémiques et offrent des possibilités innovantes pour la conservation et la gestion durable de la biodiversité ». Comment est née cette initiative ?

Xavier Le Roux : BiodivERsA a été créé en 2005, en partant d’un constat : la problématique de la biodiversité dépasse les frontières. Que l’on parle d’espèces migratrices, d’espèces invasives, des questions liées à la protection… rien de tout cela n’est cantonné dans des frontières nationales, et nécessite donc une coordination entre pays. Nous sommes aussi partis du fait que chaque pays peut contribuer à la connaissance en apportant des compétences dont les pays voisins ne disposent pas. Un Suédois, un Espagnol sera expert dans tel ou tel domaine que nous maîtrisons mal ou pas du tout en France. Aujourd’hui 23 pays sont représentés dans BiodivERsA, auxquels il faut ajouter les outremers où les enjeux de biodiversité sont particulièrement forts, et notre réseau est là pour coordonner et générer des connaissances dont l’enjeu dépasse les limites d’un territoire ou d’un pays.

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Dès l’origine, la Commission européenne a eu un rôle important en apportant son financement aux opérations de coordination et d’organisation du réseau. Dans les premières années, nous avons notamment cherché à nous mettre d’accord sur des priorités en matière de besoin de connaissance, et donc de recherches pour acquérir cette connaissance. Nous avons lancé des appels à projets pour financer des recherches transnationales : souvent des équipes de chercheurs d’au moins 5 Etats différents sont associés au sein d’un projet. Le premier appel en 2008 était très ouvert, mais je me rappelle en particulier un projet que nous avons financé pour étudier l’arrivée et l’impact de l’arrivée en Europe d’un nouveau pathogène fongique qui touchait les amphibiens. Cela nous a permis d’évaluer et comprendre la menace que représentait ce pathogène et de dresser une carte des impacts de ce pathogène à l’échelle européenne.

ANES : Et cette carte à servi à quoi ? A qui ?

Xavier Le Roux : Dans ce cas précis, les résultats et les cartes produites par le projet ont servi à proposer des protocoles de désinfection et la mise en œuvre d’un plan européen de réduction de cette menace. Mais ceci sans doute car le projet a impliqué des ONGs, des décideurs locaux, de nombreux citoyens. En fait, c’est une originalité de BiodivERsA, nous ne croyons pas au modèle linéaire de la recherche, avec des chercheurs qui produisent des connaissances… et essaient dans un second temps de les transférer à des utilisateurs. Nous faisons le pari de promouvoir l’engagement des acteurs de terrain, des décideurs, en bref des porteurs d’enjeux, à travers tous les éléments des programmes de recherche, dès les premières orientations. En amont de la recherche, il est important d’identifier avec eux les besoins de connaissance. BiodivERsA a ainsi mis en place un conseil d’orientation (advisory board) auquel participent aussi bien des experts scientifiques que l’UICN-Europe, des représentants d’entreprises ou des politiques. Si vous voulez que la recherche réponde efficacement à des enjeux de société, c’est avec eux qu’il faut identifier les grands besoins de connaissances! Ensuite, nous avons modifié d’une manière que je crois innovante la procédure de nos appels à projets. Traditionnellement, on attend dans ce genre d’instance l’excellence scientifique, mais pas grand chose sur l’engagement des acteurs de terrain ni sur l’intérêt de la recherche pour eux. Chez nous les critères d’évaluation des projets portent aussi sur ces points, à telle enseigne que nos comités d’évaluateurs ne sont pas constitués exclusivement de scientifiques, mais aussi de gens capables d’évaluer l’incidence pour la société des projets auxquels nous accordons des financements. Et une analyse a posteriori des résultats des projets de recherche a montré qu’on n’altère nullement leur excellence académique en développant l’interface science-société, bien au contraire !

ANES : Vous publiez un bilan des années 2008-2018. Quels sont les éléments à vos yeux les plus importants de ce bilan ?

Xavier Le Roux : Je crois que nous avons contribué –avec d’autres bien sûr– à une certaine reconnaissance de l’importance des enjeux de la biodiversité en Europe, nous avons démontré une capacité à faire, à structurer la communauté scientifique, et surtout à faire en sorte que la biodiversité ne soit plus exclusivement vue comme un problème à résoudre –même si ça reste le cas…– mais aussi comme une source de solutions à d’autres problèmes de la société : agroécologie pour développer un partenariat avec la nature visant à mieux produire notre nourriture; solutions fondées sur la nature pour faire face dans les zones urbaines au réchauffement climatique et aux enjeux de santé, etc.

Je pense aussi que nous avons évité le piège d’une fragmentation entre les différentes « visions » de la biodiversité. J’en citerai trois : il y a les tenants d’une recherche fondée sur la connaissance et la dynamique de la biodiversité en vue de sa protection et de sa restauration, mettant en avant les valeurs intrinsèques de la biodiversité ; ceux qui ont une vision de la biodiversité comme socle de services écosystémiques, et donc une vision plus utilitariste ; enfin il y a depuis quelques années l’émergence d’un courant qui promeut les solutions fondées sur la nature. Nous avons réussi à connecter ces trois visions, et c’est un point très important ! Dans les années qui viennent nous devrons encore travailler pour faire admettre les enjeux de la biodiversité. Et nous devrons aussi internationaliser encore plus nos actions, en dépassant les frontières de l’Europe et en travaillant avec des partenaires dans le monde entier. Et puis il faudra connecter encore plus la recherche sur la biodiversité avec d’autres enjeux de recherche : changement climatique, sécurité alimentaire, santé… Si chacun de ces secteurs travaille en silo, on sait d’expérience que ça ne marche pas, voire que certaines décisions prises peuvent être contre-productives ! Il faut faire sauter ces silos et travailler à l’interface de ces différents enjeux, sans entamer la structuration de chaque domaine.

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Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko