Trois questions à Pierre Weick, Directeur de la Fédération des parcs naturels régionaux de France.
ANES : Quatre grands réseaux de gestionnaires d’espaces naturels, dont les parcs naturels régionaux (les trois autres sont Rivages de France, les Conservatoires d’espaces naturels et Réserves naturelles de France) viennent de lancer un « cri d’alarme pour la biodiversité ». Pourquoi maintenant ?
Pierre Weick : Il y a d’un côté, dans l’actualité récente, des constats assez catastrophiques : l’étude du Muséum d’histoire naturelle et du CNRS sur la chute drastique des populations d’oiseaux, les 55 000 ha de terres agricoles et d’espaces naturels perdus en 2016, l’étude allemande qui montre l’effondrement de 80 % des populations d’insectes en 40 ans, le rapport de l’IPBES… Ce sont des constats, des expertises scientifiques, quantifiées, solidement étayées. Et d’un autre côté il y a une actualité politique qui ne nous rassure pas, et qui fait craindre que, dans les années à venir, la biodiversité soit encore plus chahutée. On a vu au moment de la création de l’Agence française pour la biodiversité que des moyens de fonctionnement qui lui avaient été alloués ont été brutalement supprimés : les 78 millions d’euros prélevés sur le fonds de roulement de l’ONEMA, les 27 millions retirés au budget 2018 pour financer le sport. On voit par ailleurs un certain nombre de projets de loi qui arrivent devant le Parlement et qui ont tous pour objet d’alléger la réglementation, de favoriser l’urbanisation. C’est le cas de la loi Elan (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique), cela sous le couvert d’une intention louable : développer le logement. Mais on peut faire du logement autrement, sans continuer à artificialiser les sols. Dans sa campagne, Emmanuel Macron avait annoncé 0 % d’artificialisation. Où en est-on aujourd’hui ?
Il faut absolument que les pouvoirs publics agissent, et aujourd’hui on attend beaucoup du ministre, mais à ce jour nous n’avons pas le sentiment qu’il s’empare des questions de biodiversité. Et le président de la République encore moins : dans ses deux interviews de la semaine dernière, il n’a pas évoqué une seule fois la biodiversité !
Pour nous la biodiversité doit être traitée de la même façon que le changement climatique, on attend une véritable ambition du gouvernement dans ce domaine. On n’a plus besoin de démontrer les choses : c’est aujourd’hui une évidence que la biodiversité doit être mise au même niveau que l’économie. Investir dans la biodiversité c’est aussi investir dans l’économie !
De toute évidence, le sujet de la biodiversité n’est pas encore dans les radars des politiques. Il y a même parfois des retours en arrière ! L’ancien ministre français de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a été accueilli en héros à la conférence de l’ONU sur l’agriculture qui vient de se tenir à Rome, parce qu’au cours de son mandat il a amorcé une ambition pour la politique française vers l’agroécologie.. A l’issue de ce colloque, l’ONU déclare que l’agroécologie doit être le nouveau modèle agricole mondial, après celui que nous avons connu depuis la dernière guerre mondiale. Et pendant ce temps, le gouvernement annonce comme objectif 10 % des exploitations en agroécologie. 10 % ! On peut franchement s’interroger sur l’ambition portée par ce gouvernement, alors que le milieu agricole lui-même est en pleine révolution, qu’il a pris conscience que le modèle agroécologique représente la voie d’avenir et de développement économique pour les producteurs, et qu’elle répond aux attentes de la société !
ANES : Nicolas Hulot dévoilera en mai son « plan biodiversité ». Vous déplorez de n’être pas associés à son élaboration. Quels sont les éléments qui doivent, à vos yeux, nécessairement figurer dans ce plan ?
Pierre Weick : Premièrement, nous aurons progressé si ce plan affiche clairement que la biodiversité doit être traitée au même niveau que l’économie, et qu’elle doit être intégrée dans toutes les politiques publiques. A ce titre, l’inscription du principe de non-régression dans la Constitution, comme il est prévu de le faire pour le climat, serait un signal important.
Ensuite, il faut des mesures concrètes pour accompagner la transition : depuis combien d’années parle-t-on d’une stratégie de création d’aires protégées ? Mais il n’y a pas eu de création de réserves naturelles nationales depuis plusieurs années, si l’on excepte les Terres australes, alors que certains territoires le demandent.
Il y a aussi la question du financement de la biodiversité. Il faut entrer dans une fiscalité verte positive, incitative, et non punitive comme on l’a trop souvent pratiqué. Ce sont des sujets parfois assez techniques, comme dans le cas de l’exonération de la taxe sur le foncier non-bâti pour les zones Natura 2000. Cette exonération n’est pas compensée pour les communes, or elle peut représenter une part significative des recettes de fonctionnement, notamment dans le cas de petites communes forestières.
On peut aussi imaginer une dotation globale de fonctionnement (DGF) majorée pour les communes qui créent des espaces naturels, comme c’est aujourd’hui le cas pour les communes dont une partie du territoire est située en zone cœur de parc national.
Nous attendons par ailleurs que l’AFB lance une grande campagne de communication sur la biodiversité, en direction des élus et du grand public. Les élus ont été assommés par le Grenelle de l’environnement et son train de mesures normatives et réglementaires. Il en faut, c’est sûr, mais désormais il faut que les élus et la population aient conscience qu’investir dans la biodiversité est aussi essentiel pour leur territoire qu’investir dans la voirie communale ou les services à la population !
On peut enfin mentionner la question de l’éducation à l’environnement : l’Education nationale ne s’en est absolument pas emparée. Maintenant il y a urgence !
ANES : Pourquoi cette mobilisation, ce cri d’alarme, est-il porté par vos réseaux de gestionnaires ? Pourquoi ne pas l’avoir étendu à d’autres secteurs de la société civile ?
Pierre Weick : par le travail que nous effectuons au quotidien sur le terrain, nous pouvons revendiquer une légitimité à porter ce message. Nous n’agissons pas dans des territoires sous cloche, nos missions ne se limitent pas à la protection réglementaire, nous associons tous les acteurs qui se préoccupent de la biodiversité ordinaire, nous travaillons concrètement, au jour le jour, avec les agriculteurs, avec les collectivités territoriales, avec les associations locales. Les territoires sur lesquels nous intervenons représentent 20 % du territoire national. Nous regroupons quelque 4 500 salariés, plus de 6 000 communes sont concernées. Cela nous donne une certaine représentativité, non ? Si je prends le réseau des parcs naturels, que je connais le mieux pour y avoir travaillé durant trente ans, je constate que les agriculteurs se tournent aujourd’hui vers nous, parce que nous nous sommes plus écoutés sur certains sujets en matière d’agriculture et d’environnement, dixit Christiane Lambert (présidente de la FNSEA) ! Je constate que les chasseurs se tournent vers nous pour entrer en dialogue avec le milieu agricole pour recréer dans les plaines agricoles intensives des espaces naturel, des haies, recréer de la biodiversité ? Certes leur finalité c’est avoir de nouveau du gibier de plaine, mais les haies permettent aussi de restaurer la biodiversité d’espèces d’oiseaux, d’insectes etc. Ces acteurs nous demandent de porter les dossiers parce qu’ils ne sont pas forcément en capacité de le faire et parce que nous avons cette capacité à faire de la médiation pour avancer sur des sujets importants.
Dans les PNR, nos territoires ont un solde migratoire positif deux fois plus important que le reste du milieu rural, et un taux d’artificialisation deux fois inférieur à celui de la moyenne rurale. Ca montre qu’on peut faire du développement dans les territoires tout en préservant. Ca veut dire que sur ces questions d’aménagement, on arrive à convaincre ou à accompagner les communes pour que l’urbanisme ne soit pas consommateur d’espaces naturels et agricoles : nous sommes sur des logiques de densification, de reconquête des centres-bourgs, etc. C’est la preuve que la préservation des espaces naturels n’est pas un frein au développement des territoires. Cela, c’est pour les parcs, mais les autres réseaux signataires de l’appel pourraient administrer une démonstration identique sur leurs territoires !
Nous travaillerons, si nous y sommes invités, à proposer un certain nombre d’actions concrètes, mais il est nécessaire que le « plan biodiversité » qui va être dévoilé comporte quelques axes majeurs, fortement affirmés, et pas une juxtaposition de mesurettes. Il faut que Nicolas Hulot, qui est officiellement ministre d’Etat, devienne effectivement un ministre d’Etat !
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko