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Trois questions à François Veillerette, Directeur et porte-parole de l’association Générations futures

ANES : Le dixième rapport EXPPERT (pour EXposition aux Pesticides PERTurbateurs endocriniens) de Générations futures s’est intéressé aux pesticides perturbateurs endocriniens (PE) présents dans l’alimentation. Quels sont ses constats ?

François Veillerette : Nous avons analysé finement les chiffres sur les résidus de pesticides quantifiés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) en juillet dernier, qui se voulait rassurante en disant que les Limites Maximales en Résidus, c’est-à-dire les valeurs-seuil à ne pas dépasser dans les aliments, étaient respectées dans 97% des cas. De notre côté, nous avons voulu détailler la nature des presque 110 000 résidus de pesticides retrouvés dans l’alimentation par l’Efsa, pour voir combien étaient des perturbateurs endocriniens. Nous ne savions pas ce que nous allions trouver. Nous avons trouvé que près de 70 000 d’entre eux, donc environ 63%, étaient des PE potentiels, c’est-à-dire dont l’effet de perturbation endocrinienne avait été montrée par au moins une publication universitaire. Cela pose un certain nombre de questions sanitaires. Chez les PE, ce n’est pas forcément la dose qui va déterminer le degré de danger du poison, mais la période d’exposition. Chez les femmes enceintes, le fœtus est ainsi très sensible aux PE qui, même à dose très faible, perturberaient le développement cérébral. La relation dose-effets des PE est dite non-monotone et sa courbe peut contenir plusieurs minima ou maxima ! Il n’y donc pas forcément de « dose sans effet » chez les PE, ce qui interroge sur la pertinence de la notion de « Limites Maximales en Résidus » chez les pesticides, quand deux-tiers d’entre eux sont susceptibles d’agir sans seuil sur l’organisme, avec des effets forts pour des doses faibles…

ANES : Une nouvelle Stratégie nationale Perturbateurs Endocriniens est actuellement en discussion, pour laquelle Générations futures a été consultée. Quels sont vos retours sur cette proposition ?

F.V : Nous avons formulé un certain nombre de propositions car, en l’état, la nouvelle SNPE est très imparfaite. Nous notons déjà qu’il n’y a pas vraiment d’actions prévues pour la prévention d’exposition de la population par l’alimentation. Comme le montre notre rapport, ça serait passer à côté d’une source majeure d’exposition… Nous proposons déjà de garantir des lieux sans PE, là où sont les personnes les plus sensibles, par exemple les maternités et les crèches. Il faut faire un effort de prévention d’exposition par les aliments mais aussi par l’environnement intérieur et extérieur. Plus généralement, il faudrait développer une approche de promotion des alternatives non-chimiques ; réaliser des campagnes d’information à destination des parents et former les étudiants en médecine (et parfois les médecins en exercice) sur cette question de santé publique majeure. Il ne faut pas oublier que les PE induisent des coûts de santé indirects considérables : 150 milliards d’euros par an à l’échelle européenne !

ANES : Vous venez de publier, avec le journaliste Fabrice Nicolino, un livre-manifeste contre les pesticides, Nous voulons des coquelicots qui, plus que de santé publique, parle de biodiversité. Dans le même temps, vous avez lancé un appel citoyen. Quels sont les objectifs de ces actions conjointes ?

F.V : On voit bien jusqu’à présent que les tentatives d’évolution du système agricole dominant ont échoué. Le plan Ecophyto de 2008, qui devait réduire de 50% l’utilisation des pesticides à l’horizon 2018 a plutôt conduit à une augmentation de cette utilisation de 20%. C’est un échec clair dans les chiffres. Parallèlement la biodiversité s’effondre, les populations d’oiseaux et d’insectes disparaissent. La situation est dramatique. Il faut entendre les demandes populaires : les citoyens ne veulent plus de ce système, ils veulent revenir à une agriculture qui respecte la vie. Le « coquelicot » dont nous appelons le retour de nos vœux symbolise la vie et la santé dans nos campagnes. Il s’agit tout bonnement de stopper l’utilisation des pesticides de synthèses dangereux pour la vie. Les citoyens viennent de montrer qu’ils étaient prêts à s’emparer de la question du climat suite à l’inaction parlementaire et au départ fracassant de Nicolas Hulot. Nous sommes passés à un autre niveau, au-delà des actions associatives : c’est l’ensemble des citoyens qui en ont ras-le-bol. Nous voulons donc les rassembler pour créer une « communauté du coquelicot ». Nous distribuerons une petite cocarde en forme de fleur pour les signataires de l’appel qui incarnera le rassemblement, nous l’espérons, de centaines de milliers de personnes contre les pesticides. C’est une campagne qui va durer des mois, pourquoi pas des années, qui va vivre avec des actions concrètes. Nous appelons les associations locales à s’en emparer et à organiser leurs propres évènements. C’est une initiative qui doit échapper aux personnes qui l’ont imaginée !

Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain