Trois questions à Grégoire Loïs, naturaliste à l’Agence régionale de la biodiversité Ile-de-France
Amélie Bottollier-Depois : Quel est l’impact sur la biodiversité d’une crue comme celle qui touche la région parisienne et d’autres régions françaises?
Grégoire Loïs : D’une manière générale, une crue est plutôt bénéfique. C’est ce qui a permis l’apparition de bassins limoneux sur lesquels l’agriculture se porte très bien. Le bénéfice des crues pour la biodiversité, c’est finalement de « ré-ensauvager » les berges, il y a beaucoup de limon qui se dépose. En 2016, quand ils avaient nettoyé les voies sur berge dans Paris, 5 cm de limon s’était déposé, c’est considérable. Ça a tendance à enrichir les terres (…). Et redéposer des limons, ça donne une végétation plutôt foisonnante la saison suivante. Les régimes de crues sont d’ailleurs à l’origine de l’apparition des grands bassins céréaliers, de l’apparition de l’agriculture, le Tigre, l’Euphrate, le Nil, qui étaient en crue tous les ans, avec parfois des mauvaises surprises pour les habitants mais avec des terres très fertiles dans les zones des crues.
Amélie Bottollier-Depois : Mais pour la faune ? Certains craignent la mort de poissons qui peuvent se trouver piégés après la décrue…
Grégoire Loïs : A la décrue ça arrive, c’est un risque. Je n’ai pas de chiffres mais je pense que ça relève de l’anecdotique, je n’imagine pas que des populations de poissons puissent se retrouver en mauvais état suite à la crue. Les régimes de crue sont naturels, ça se produit sur tous les grands fleuves qui ne sont pas canalisés, bordés de berges, comme les fleuves d’Europe occidentale. Dans les fleuves, de façon normale, s’installe une faune qui a coévolué avec les régimes de crue. On trouve même des poissons qui profitent du régime de crue pour aller pondre, comme le brochet qui typiquement pond lors des crues hors du lit du fleuve. C’est dans son cycle de vie d’aller pondre dans les zones inondées.
Amélie Bottollier-Depois : Et pour les autres animaux, les mammifères, les grenouilles ?
Grégoire Loïs : C’est plus un problème pour les mammifères fouisseurs, les taupes, les campagnols, des petits mammifères, mais aussi les renards, les blaireaux, qui se retrouvent avec des terriers complètement inondés. Ils s’éloignent de la zone en crue et peuvent revenir après. Le terrier est probablement détruit, mais ils le recreusent. En tant que naturaliste, je pense que c’est plutôt un bain de jouvence dans la mesure où ça réinsère quelque chose de naturel, un naturel parfois chaotique et hasardeux, y compris en pleine ville, en plein Paris. La Seine est d’une qualité qui s’améliore, il y a de plus en plus de végétaux hydrophiles, des algues d’eau douce. Donc de temps en temps un grand coup de rinçage comme ça, ça peut certes produire des pollutions accidentelles, mais sinon ça réintroduit du sauvage dans le régime du fleuve. Les grenouilles et les crapauds, eux, hibernent souvent en terrier, donc il peut y avoir un impact mineur avec un peu de mortalité pendant l’hibernation. Néanmoins, vu qu’il fait très doux, je pense qu’il n’y a pas de souci. Les grenouilles et les crapauds avaient déjà commencé à bouger pour leur migration prénuptiale.
Propos recueillis
par Amélie Bottollier-Depois (AFP)