Trois questions à Charlotte Meunier, Vice-présidente de Réserves naturelles de France
ANES : Le thème central du 37ème congrès des réserves naturelles de France, qui se déroule jusqu’à samedi à Ronce-les-bains, est « 500 réserves en 2030 ». Pourquoi 500 ? Comment ce chiffre a-t-il été fixé ?
Charlotte Meunier : La réunion plénière de l’IPBES, qui vient de se tenir en Colombie, a dressé un nouveau constat de déclin de la biodiversité au niveau mondial. Il est donc nécessaire de réagir, et toutes les études prouvent qu’un réseau d’espaces protégés est un outil majeur de protection, voire de reconquête de la biodiversité. Il faut donc relancer la dynamique de création de tels espaces, en en particulier, pour ce qui nous concerne, de réserves naturelles. Il y a actuellement 347 réserves sur le territoire national, il nous paraît indispensable d’en créer entre 5 et 10 par an pour les années qui viennent, ce qui nous conduit à cet objectif de 500 réserves en 2030. C’est un objectif qui n’est ni démesuré, ni inatteignable, si on se réfère à la dynamique de création des réserves régionales au cours des dernières années. En un peu plus de 10 ans, 172 de ces réserves ont été créées, parce que les régions se sont approprié l’outil. S’il y a une volonté politique, si on mobilise les moyens humains et financiers à l’échelle des territoires, on y arrive ! Mais pour cela il faut travailler sur l’appropriation par les acteurs locaux des enjeux d’une part, et de l’outil que constituent les réserves d’autre part. Et sur ce terrain-là nous avons des progrès à faire. Les réserves sont encore beaucoup trop souvent considérées comme des zones de contraintes, ou des territoires sous cloche, alors que nous accueillons déjà plus de 10 millions de visiteurs par an ! Nous devons apprendre à mieux mettre en valeur, tant auprès du grand public que des décideurs, tout l’apport de la présence d’une réserve sur un territoire, en termes de santé publique, de bien-être des populations, et même d’attractivité économique ! Je viens des gorges de l’Ardèche, notre réserve naturelle nationale accueille énormément de visiteurs, c’est un lieu de découverte, de sensibilisation, et un facteur économique déterminant pour le département !
ANES : Pourquoi la dynamique de création de réserves s’st-elle enrayée ces dernières années ?
Charlotte Meunier : Pour les réserves régionales, il est clair que la réorganisation territoriale, les fusions de région, ont absorbé beaucoup d’énergies qui ont été détournées de l’objectif de création de réserves. Mais maintenant les structures et les organisations sont en place, et il faut relancer cette dynamique. Pour les réserves nationales, les questions budgétaires ont pesé ces dernières années. Mais nous travaillons étroitement avec le ministère de la transition écologique, et nous avons des arguments à faire valoir ! D’abord, la politique des espaces protégés n’est pas une politique publique qui coûte très cher ! Les 347 réserves existantes s’appuient sur un réseau de 600 salariés, dont 350 agents commissionnés qui exécutent des missions pour l’Etat ! Et par ailleurs, nous avons des engagements internationaux à tenir. Nous sommes encore très loin de l’objectif de 2 % du territoire national faisant l’objet d’une protection réglementaire. Et 2 %, ce n’est pourtant pas un chiffre extrêmement ambitieux ! Enfin, nous devons porter des projets adaptés aux réalités des territoires : l’une des dernières réserves créées couvre 3000 ha en Corse, sur des lacs d’altitude, mais certains projets portent sur la protection d’une tourbière sur quelques hectares. L’une des caractéristiques de notre outil est aussi d’être souple et adaptable aux enjeux du terrain et aux réalités locales.
ANES : Pour atteindre votre objectif, la création de l’Agence française pour la biodiversité et des agences régionales constitue-t-elle un atout, ou une perte d’énergie ?
Charlotte Meunier : Cette nouvelle gouvernance est incontestablement un atout. Nous avons conclu le 12 mars une convention-cadre avec l’AFB, comme l’ont fait le même jour d’autres réseaux d’espaces protégés (conservatoires d’espaces naturels et PNR). Nous nous sommes fixé des objectifs communs, sur la formation des gestionnaires, la mise en place d’un centre de ressource sur les plans de gestion, un observatoire des patrimoines, les zones Natura 2000, etc. Nous nous impliquons par ailleurs fortement dans la mise en place des structures régionales. Nous avons un combat à mener ensemble, qui consiste à montrer les succès de la protection de la biodiversité. La loutre est par exemple revenue dans la réserve naturelle du Bagnas, sur la côte méditerranéenne. Il y a quelques années, on s’interrogeait vraiment sur la viabilité des populations. Mais ce succès-là est important et nous devons le faire savoir : demain, les générations qui nous succèderont pourront encore voir des loutres…
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko