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Trois questions à Michael Weber, Président de la Fédération des parcs naturels régionaux français

ANES : Les Parcs naturels régionaux célèbrent ce week-end à Paris leur 50ème anniversaire et annoncent la création de quatre nouveaux parcs dans les mois qui viennent. C’est la preuve que le « modèle PNR », forgé dans les années 70, est encore pertinent ?

Michael Weber : Cet anniversaire est évidemment l’occasion de dresser un bilan de ce qui a marché et aussi de nos échecs, dans une société qui a énormément changé en 50 ans. Lorsque les PNR sont apparus, il y avait une attractivité pour la ville, les campagnes se vidaient, on passait à marche forcée d’un monde rural à un monde industriel. On vit aujourd’hui un mouvement de retour vers ces territoires qui se dépeuplaient il y a 50 ans. C’est donc le bon moment de nous poser la question de savoir si ce que nos prédécesseurs avaient mis en place est encore pertinent dans les débats de la société d’aujourd’hui. Et nous constatons que les territoires des PNR sont aujourd’hui confrontés aux mêmes difficultés, aux mêmes oppositions entre le monde des villes et le monde des campagnes, opposition que nous nous efforçons de combattre. Et pour l’avenir, au-delà de ce qui constitue notre « cœur de métier », la préservation du patrimoine naturel et culturel et sa mise en avant comme levier de développement local, nous pensons que sur des sujets émergents –liés à l’alimentation, à l’énergie, à la rénovation du bâti ancien…- nous avons toujours des propositions à faire. La création prochaine de quatre nouveaux parcs le démontre si d’aventure c’était nécessaire. Il s’agît de territoires emblématiques : tout le monde sait où se trouvent l’Aubrac, la Sainte-Baume, le Médoc ou la baie de Somme. Ils administrent la preuve que des territoires pourvus d’une forte cohérence paysagère et historique, s’ils envisagent leur développement dans une démarche d’excellence, peuvent réunir les conditions pour être reconnus comme parcs naturels régionaux.

ANES : On voit pourtant que les contraintes se multiplient, et avant tout les contraintes budgétaires. Vous avez critiqué publiquement cette semaine le fait que le financement de l’Agence française pour la biodiversité soit assuré par des prélèvements sur les budgets des Agences de l’eau. En quoi cela concerne-t-il les PNR ?

Michael Weber : Les PNR sont placés sous une double tutelle : nationale et régionale. Le décret de classement d’un parc est signé par le Premier ministre. Il est essentiel pour nous de garder ce double regard, de l’Etat d’une part qui garantit l’homogénéité des parcs, et des régions d’autre part qui sont en charge du développement local. Or il y a aujourd’hui un problème avec l’Etat, qui a voté l’an dernier une loi de reconquête de la biodiversité -fort bien !- mais qui aujourd’hui ampute les politiques de l’eau de leurs moyens pour les affecter à la biodiversité. Or la réalité des territoires, c’est que nous travaillons énormément avec les Agences de l’eau, notamment sur des actions liées à la biodiversité. Et la réalité, c’est aussi que l’amélioration de la qualité des eaux en France est un sujet loin d’être clos ! Ce transfert de financements, alors que les politiques de l’eau ne sont pas au bout de ce qu’elles devraient être, nous préoccupe beaucoup. Lorsque nous avons rencontré Nicolas Hulot le 5 septembre dernier, il nous a assuré qu’il voulait renforcer les politiques en faveur de la biodiversité. OK, mais ça ne peut pas se faire en ponctionnant des financements venus des politiques de l’eau ! Il faut comprendre le ressenti des territoires ruraux dans lesquels nous intervenons, qui considèrent qu’ils sont déjà, par construction, des protecteurs de la biodiversité à l’inverse des villes. Si on leur impose en plus de devoir protéger ici une roselière, là une pelouse calcaire, ou ailleurs d’interdire la fréquentation d’un rocher pour préserver la nidification d’un faucon pèlerin, ils peuvent considérer ces contraintes-là come une forme de double peine ! Il faut donc de l’accompagnement, de l’animation, discuter avec l’association locale de pêche, etc. Cela demande des crédits. Lorsque dans le cadre d’une politique Natura 2000 l’Agence de l’eau finance la restauration de la roselière et les actions associées, et que demain elle ne pourra plus le faire parce que ses crédits seront partis à l’AFB, comment financerons-nous ces actions ? Dans un monde idéal on pourrait toujours nous dire « adressez-vous désormais à l’AFB », mais l’AFB nous répond qu’elle n’est pas là pour financer les PNR ! En outre, notre crainte est qu’à terme, nous ne soyons trop fortement dépendants de l’AFB, ce que nous ne souhaitons pas : les PNR ne sont pas des parcs nationaux, l’ancrage territorial est essentiel.

ANES : A côté de ces difficultés ave l’Etat, les PNR rencontrent aussi des problèmes avec certaines Régions. En PACA, les PNR du Luberon et du Verdon, qui avaient introduit une action en justice contre le projet de centrale à biomasse de Gardanne, ont été obligés d’avaler leur chapeau, sur injonction du président de la Région…

Michael Weber : On peut effectivement comprendre la frustration des élus et des techniciens de ces deux parcs, qui s’étaient fortement mobilisés contre ce projet inique. Au-delà des parcs concernés, la Fédération des parcs et la Fédération des communes forestières ont adressé un courrier au ministre pour lui exprimer notre grande inquiétude. France Nature Environnement est aussi monté au créneau… bien trop timidement à mes yeux, mais quand même. Nous sommes les acteurs d’une gouvernance locale originale, fondée sur des compromis et des consensus dans les territoires, mais notre financeur principal est la Région, et certains exécutifs régionaux ne comprennent pas qu’un parc qu’ils financent puisse adopter une position qui n’est pas conforme à celle de la Région. Si l’on s’arrête à ce constat, c’est évidemment un échec et une déception. Mais si les parcs concernés n’avaient pas réagi sur ce sujet, qui s’en serait emparé ? Qui aurait alerté l’économie locale, les populations, les associations, sur l’impact de ce projet qui aura évidemment de graves impacts dans le grand Sud-est, mais qui va aussi totalement déséquilibrer la filière bois en France ? Les deux parcs concernés sont en difficulté sur ce dossier, mais la Fédération continuera à plaider auprès du ministre pour que ce projet, qui n’est pas du tout vertueux, ne soit pas réalisé. Et s’il se réalise malgré tout, il ne fait pas de doute que l’histoire nous donnera raison.

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko