La montée des océans s’accélère et le niveau des eaux pourrait grimper de 65 centimètres d’ici la fin du siècle, un chiffre conforme aux estimations des Nations unies et qui pourrait poser de sérieux problèmes aux villes côtières, rapporte une étude publiée lundi.
Le rythme de la hausse annuelle du niveau des océans, qui est d’environ 3 millimètres par an actuellement, pourrait plus que tripler pour atteindre 10 millimètres supplémentaires chaque année d’ici 2100, selon les données publiées dans les Comptes-rendus de l’Académie américaine des sciences (PNAS). Les résultats de ces travaux se basant sur des informations collectées par des satellites durant 25 ans « sont à peu près en accord avec les projections du rapport AR5 (présenté en 2014, ndlr) du groupe d’experts sur le climat de l’ONU (Giec) ».
« Cette accélération, provoquée principalement par la fonte accélérée du Groenland et de l’Antarctique, peut potentiellement doubler la hausse totale du niveau des océans d’ici 2100, en comparaison avec les projections qui partaient du principe que la hausse serait constante », a expliqué l’auteur principal de l’étude Steve Nerem, professeur d’ingénierie aéronautique à l’Université du Colorado. Avec cette hausse qui s’accélère chaque année, le niveau des océans augmenterait ainsi de plus de 60 centimètres d’ici la fin du siècle, selon le professeur Nerem. « Et c’est naturellement une estimation prudente »,
prévient-il.
Le changement climatique entraîne la montée des océans via deux phénomènes: la fonte rapide des glaces dans les pôles et les concentrations accrues de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ce dernier phénomène réchauffe la température de l’eau. Or l’eau chaude – moins dense que l’eau froide – prend plus de place. Ce mécanisme est déjà responsable de la moitié des sept centimètres de hausse constatés au cours de 25 dernières années, toujours selon le professeur Nerem. « Cette étude souligne le rôle important que peuvent jouer les données recueillies par satellite pour valider des modèles de projections sur le climat », a de son côté souligné John Fasullo, climatologue au National Center for Atmospheric Research et co-auteur de l’étude.
Simultanément, une autre étude publiée dans Nature révèle qu’avec l’accumulation des rejets d’origine humaine, le CO2 dissous augmente dans les eaux océaniques de surface. L’article met en évidence une pénétration de ces teneurs en CO2 plus rapide que prévu en profondeur, au niveau de l’océan Atlantique nord. Les récifs coralliens d’eau froide pourraient en être victimes.
Entre le Groenland et le Portugal, les campagnes océanographiques appelées Ovide permettent d’étudier la région Atlantique nord, un secteur crucial pour l’étude des courants marins : le courant Nord Atlantique, issu du Gulf Stream, y apporte une eau de surface chaude. En se refroidissant dans cette zone subpolaire, l’eau devient plus dense. Elle finit par pénétrer en profondeur. Cette convection est l’un des piliers du « tapis roulant » océanique qui redistribue la chaleur entre les zones polaires et équatoriales, avec une forte influence sur le climat mondial. Lors des campagnes Ovide, qui ont lieu tous les 2 ans depuis 2002, les scientifiques étudient son évolution dans le temps et sa composition chimique avec des relevés de pression, de température, de salinité ou encore de pH.
Les relevés montrent qu’en mer d’Irminger, entre le Groenland et l’Islande, la convection profonde a tendance à augmenter. « Avec le réchauffement des températures dans cette zone, elle devrait diminuer dans les prochaines décennies selon les modèles climatiques. Mais depuis 2014, à cause de régimes de temps particuliers, on observe plutôt une augmentation de la profondeur de pénétration des eaux de surface, et donc du CO2 dissous », soulignent Herlé Mercier (CNRS) et Pascale Lherminier (Ifremer), membres du LOPS et co-auteurs de l’article sur le volet océanographie physique. Cette anomalie entre les observations récentes et les modèles à plus long terme interpelle la communauté scientifique et motive la réalisation de la prochaine campagne Ovide en juin-juillet 2018.
L’eau de surface est plus chargée en CO2 à cause de l’accumulation dans l’atmosphère des rejets d’origine anthropique. A l’échelle du globe, l’océan stocke environ 25% du carbone émis par les activités humaines, jouant ainsi un rôle d’atténuateur du changement climatique avec une conséquence néfaste : l’acidification de l’océan. La nouvelle série de mesures montre que le CO2 dissous est à des concentrations et des profondeurs de plus en plus élevées
Cette eau acidifiée peut mettre en péril les organismes calcificateurs, comme les coraux. En effet, l’acidification réduit la présence de carbonates qui est nécessaire à ces derniers, par exemple pour la formation de leur coquille.
Les coraux ne peuvent se développer dans les eaux océaniques profondes et froides trop pauvres en ions carbonates. La profondeur critique pour les coraux est ainsi évaluée actuellement à 2500 m de profondeur en Atlantique Nord. « Nous avons montré par nos calculs que l’acidification liée au changement climatique pourrait causer une remontée de 1000 m de cette profondeur critique», souligne Fiz Fernandez Perez de l’IIM, premier auteur de l’article et spécialisé en biogéochimie marine. Autrement dit, les organismes calcifiants ne pourraient donc plus se développer en-dessous de 1500 m de profondeur. Ces résultats prennent en compte un doublement de la teneur atmosphérique en dioxyde de carbone, ce qui pourrait arriver dans les trois prochaines décennies selon les estimations du GIEC.