Comment passer des annonces ministérielles (ou présidentielles) à… rien du tout ? Greenpeace a méticuleusement disséqué le trajet parlementaire de la loi de finances rectificative, et explique comment la majorité « En marche » a vidé de toute substance les « contreparties écologiques » demandées aux entreprises bénéficiaires du plan de relance. Edifiant.
La Convention citoyenne sur le climat s’est fortement prononcée pour que les aides publiques versées aux entreprises dans les plans de sauvetage et de relance soient assorties d’une obligation de réduire leurs émissions de CO2. Le président de la République a annoncé que ces préconisations seraient mises en œuvre « sans filtre ». Et le ministre de l’économie Bruno Le Maire a affirmé que les aides allouées aux entreprises feraient l’objet de contreparties environnementales et sociales. Travaux pratiques début juillet, avec l’examen du projet de loi de finances rectificative (PLF3). En jeu : 15 milliards pour l’aéronautique et 8 milliards pour l’automobile, soit des industries extrêmement polluantes.Le secteur des transports est aujourd’hui le plus émetteur en France, et il ne respecte pas les objectifs climatiques prévus par l’Etat. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
Dès l’examen du texte en commission des finances, les député·es LREM s’opposent à toute forme de conditions environnementales (réduction des émissions de gaz à effet de serre) et sociales (maintien de l’emploi) pour les entreprises bénéficiaires de la générosité publique. Les amendements visant à contraindre les entreprises bénéficiaires de l’argent public à réduire leurs émissions ont tous été sèchement rejetés. Y compris celui défendu par En Commun (courant rassemblant des parlementaires de la majorité dont Barbara Pompili, alors présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire). Après avoir rejeté en commission tout amendement ambitieux, la majorité s’est employée le jour même à faire sortir du chapeau un nouvel amendement coupe-feu pour l’examen en séance publique, similaire dans l’esprit à celui du groupe En Commun, mais vide de toute ambition écologique. Ainsi, ce nouveau texte prévoit que « pour les entreprises de plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires lors du dernier exercice clos (…), la prise de participation par l’intermédiaire de l’Agence des participations de l’Etat, effectuée à partir de la publication de la présente loi (…) est subordonnée à la souscription par lesdites entreprises d’engagements en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre ».
Premier problème, relève Greenpeace : cet amendement propose un périmètre d’application trop restreint puisque les seules aides publiques concernées par les “conditions écologiques” de cet amendement seraient celles qui se font sous la forme de participation de l’Etat (montée au capital). Or, de nombreuses autres aides existent : prêts garantis par l’Etat, garanties à l’export, chômage partiel, reports de charge et autres crédits d’impôts ou subventions directes. D’ailleurs, les montées au capital sont une partie infime des aides effectivement engagées par la puissance publique. La plupart des aides relèvent plutôt du chômage partiel ou des prêts garantis (comme les 7 milliards pour Air France ou les 5 milliards pour Renault), nettement plus avantageux pour les entreprises, qui n’ont pas à devoir composer avec un poids accru de l’Etat dans leur conseil d’administration dans ces cas-là. C’est à cette lumière qu’il faut comprendre le choix de périmètre très restrictif opéré par la majorité.
Autre point de friction : le seuil de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires retenu est anormalement élevé, puisque la déclaration de performance extra-financière (à savoir, l’obligation d’information sur les conséquences sociales, environnementales et climatiques de l’entreprise), s’applique aux entreprises dès 100 millions d’euros de chiffre d’affaires pour celles qui sont non cotées, et dès 40 millions d’euros pour les autres. Pourquoi réduire si drastiquement le champ d’application ?
Cet article pose également des questions sur la période d’application. D’un côté, on comprend que les entreprises où l’Etat aurait effectué une montée au capital avant la promulgation de la loi (par exemple, Safran), ne seraient pas concernées. De l’autre, la disposition serait caduque à la fin de l’année 2020 dès lors que l’Agence des participations de l’Etat agira au titre des crédits ouverts par la loi de Finances pour 2021. Et surtout, tout ce que prévoit cet article, c’est que les entreprises devront fixer elles-mêmes les contreparties auxquelles elles s’astreignent. Enfin, démontre Greenpeace, ces obligations « nouvelles »… sont déjà celles que doivent observer ces entreprises : elles doivent en effet mentionner dans leur bilan carbone les actions envisagées pour réduire leurs émissions (en vertu du décret n° 2017-1265 du 9 août 2017 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017 relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises).
Et si les entreprises n’atteignent pas les objectifs climatiques qu’elles se sont elles-mêmes fixés ? Plutôt que l’application par le législateur d’une sanction logique, il leur est donné loisir de prendre de nouveaux engagements pour corriger les précédents, ad vitam aeternam. Il est tout de même prévu une sanction administrative en cas de non-respect de ces dispositions. Mais, écrit Greenpeace, « Là, on rigole. Que sanctionne donc l’autorité administrative ? Non pas les résultats concrets de l’entreprise sur le plan de la réduction effective des émissions, mais simplement la non-publication de son bilan carbone : LREM ne compte pas sanctionner les entreprises qui ne réduisent pas leur empreinte carbone, alors même qu’on leur verse des milliards d’argent public, quand on ne cesse par ailleurs de renvoyer les individus à leurs éco-gestes au plus haut sommet de l’Etat ».
Lire l’analyse complète de Greenpeace
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