Fusil-harpon à la main, ils écumaient les fonds marins et pillaient l’écosystème du Parc national des Calanques : quatre braconniers, qui fournissaient restaurateurs et écaillers de Marseille, ont comparu le 4 juillet devant la justice.
Pour mettre fin à une activité « ô combien nuisible » pour la nature, le procureur Franck Lagier a requis jusqu’à un an de prison ferme. Au total ce sont 4,5 tonnes d’animaux marins qui ont été subtilisés par quatre braconniers marseillais, selon le Parc national des Calanques. Dont des espèces protégées voire menacées – mérou, sars, corbs et des dizaines de milliers d’oursins – et souvent dans des zones où toute pêche est interdite. Les prévenus avaient la « volonté de piller, au mépris de toutes les règles et tout cela dans un seul et même but: amasser toujours plus de profit », a déploré le magistrat, qualifiant ce dossier « d’exceptionnel ». L’affaire a été mise en délibéré au 11 juillet. C’est en général par mauvais temps ou le soir, pour échapper aux gendarmes, que les enquêteurs ont pu voir le « braco-boat », l’une des embarcations de ces pêcheurs illégaux, écumer les eaux du havre de biodiversité qu’est le Parc national. Stéphane Avedissian avait fait du braconnage une petite industrie, centralisant les ventes pour des dizaines de particuliers et de professionnels. « Pour rendre service » uniquement, assure cet homme de 40 ans, titulaire d’une licence de pêcheur professionnel, couverture utile pour revendre le poisson. Il aurait tout de même engrangé 59.000 euros en quatre ans, selon l’enquête. Tatoué aux bras et au cou, en T-Shirt, jean et mocassins, cet employé de l’agglomération marseillaise le matin, passait ses après-midi en mer. Le procureur a requis contre lui la peine la plus lourde: trois ans de prison, dont un ferme, et 5.000 euros d’amende. Tout comme à l’encontre du plongeur « le plus aguerri » de l’équipe, David Rogliano. Ecoutes, surveillances physiques lors des ventes, épluchage des comptes bancaires familiaux… Les grands moyens ont été déployés pour ce dossier de trafic en bande organisée. A la barre, les prévenus se sont présentés comme des passionnés de chasse sous-marine. Des athlètes pouvant plonger à 40 mètres de profondeur en apnée, pour taquiner l’emblématique mérou de Méditerranée, et qui auraient passé la ligne blanche. « C’est tellement facile de revendre à des gens qui n’attendent que ça », a expliqué Rémi Patriarca, qui regrette d’être « entré dans un cercle vicieux ».
« Ma passion a pris le dessus », a ajouté David Rogliano. Ce sportif de 37 ans, mécanicien de profession, a notamment récolté des milliers d’exemplaires de l’oeil de Saint-Lucie, un coquillage revendu pour faire de la bijouterie fantaisie. Le braconnage a rapporté à ces quatre marseillais au moins 160.000 euros en quatre ans. Entre eux, ils ne faisaient aucun cas de la nature, promettant d’aller « taper » des poissons ou « faire une enculerie aux oursins », selon les écoutes… A la barre, tous ont regretté : « Les poissons qui sont morts, on pourra pas les faire revenir à la vie », n’a pu que déplorer M. Avedissian. Le Parc national des Calanques a saisi l’occasion pour réclamer 450.303 euros au titre du préjudice environnemental lié à la perte de biodiversité, un mécanisme juridique encore neuf, a souligné son avocat Me Sébastien Mabile. Les grands absents resteront les restaurateurs, écaillers et poissonniers qui se fournissaient chez ces braconniers. Allant parfois jusqu’à passer commande de milliers d’oursins pour les fêtes de fin d’année. Au grand dam de la défense et des défenseurs de l’environnement, ils ont échappé à un procès public, sept d’entre eux transigeant avec le parquet, moyennant des amendes de quelques milliers d’euros au maximum. Et la participation à un stage de sensibilisation à l’environnement. Pierrot Coquillages, Grand Bar des Goudes, Cabane du Pêcheur, des établissements ayant pignon sur rue ont été cités dans le dossier. « J’aurais aimé que certains assument un peu plus », a lâché David Rogliano. Les restaurateurs marseillais « savent très bien » qu’ils achètent du poisson en fraude et « ça ne les dérange pas ».
Le tribunal correctionnel a finalement reconnu coupables les quatre prévenus, mais n’a pas suivi les réquisitions du parquet, qui demandait pour deux d’entre eux des peines de prison ferme. Stéphane Avedissian et David Rogliano ont écopé de 18 mois de prison avec sursis et 3 ans de mise à l’épreuve. Les deux autres prévenus, des plongeurs, ont été condamnés à 15 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve de 3 ans. Tous les quatre ont notamment l’interdiction de pratiquer la pêche sous-marine pendant la durée de leur mise à l’épreuve, et se sont vus confisquer, outre des sommes d’argent sur leurs comptes en banque et en liquide, leurs bateaux et matériel de pêche. Le tribunal a renvoyé au 5 décembre la demande d’indemnisation du Parc national des calanques, du fait de la complexité du calcul du préjudice. Les autres parties civiles ont obtenu gain de cause: les quatre prévenus sont condamnés à verser solidairement six associations de défense de l’environnement (France nature environnement, Sea Sheperd, l’Aspas notamment) des sommes de 2.000 à 10.000 euros.