Le trafic de civelles, nouveau « trafic de stups » (2 mn 30)

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De plus en plus de peines de prison ferme sont prononcées dans des procès de trafic de civelles (alevins de l’anguille), où la justice voit un « parallélisme » entre le trafic de stupéfiants et celui, croissant et juteux, de cette espèce menacée.

Deux ans ferme ont ainsi prononcés jeudi à Bordeaux contre un homme de 44 ans présenté comme une « tête de réseau » au casier judiciaire fourni, notamment pour trafic de drogue, mais « rangé des voitures » depuis une dizaine d’années selon son avocat. A l’audience, il a assuré n’être qu’un modeste « petit pêcheur à pied », qui certes attrapait illégalement –sans licence– des civelles (pibales, comme elles sont aussi appelées dans le Sud-Ouest), et les revendait, mais à toute petite échelle.

L’accusation a au contraire dressé le tableau d’une « structure de bande organisée », depuis les pêcheurs jusqu’au convoyeur, au mareyeur intermédiaire pour les écouler à l’export, des convois avec voitures « ouvreuses » pour éviter les contrôles, comme les « go fast » dans les affaires de stupéfiants. Et des moyens d’enquête qui se musclent en conséquence: écoutes, localisation téléphonique… C’est un contrôle des Douanes, interceptant en février 2016 à Virsac (Gironde) un fourgon en route vers l’Espagne avec 163 kilos de civelles à bord, conduit par deux des six prévenus, qui est à l’origine de l’enquête, laquelle s’est appuyée en grande partie sur des écoutes téléphoniques. Et a identifié au moins trois autres « convois », dont un remontant avec 65.000 euros en liquide. Les civelles, a entendu le tribunal correctionnel de Bordeaux, sont une denrée qui « triple de valeur a chaque étape d’intermédiaire ». Si elles sont vendues 250-300 euros le kilo par le pêcheur des estuaires de la façade Atlantique où elles séjournent, en bout de chaîne en Asie, où elles sont extrêmement prisées, elle peuvent atteindre 5.000 euros le kilo.

L’espèce est en déclin notoire depuis 30-40 ans, protégée depuis 2009 au titre de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). Sa pêche est très strictement règlementée, avec un système de licences et quotas, destinés pour partie à la consommation, et pour partie au repeuplement des rivières. En parallèle, le trafic de civelles « depuis quelques années commence à prendre de l’ampleur, voire dans certains cas prend le pas sur le trafic des stupéfiants où le risque est plus important, alors que le trafic de civelle rapporte autant », a souligné pour le ministère public Nathalie Quéran. Et la justice, qui a relevé en 2013 la peine maximale encourue (7 ans) pour la circonstance aggravante de bande organisée, « commence à mettre le nez dedans ».  De fait, les peines de prison ferme se multiplient (Nantes en septembre 2017, Lorient en mars dernier, Bobigny début mai) là où jadis étaient de mise l’amende ou la contravention pour braconnage. La défense a déploré jeudi à Bordeaux cette volonté de faire un « procès exemplaire » et cette « logique de l’assimilation » civelles/stupéfiants, avec un dossier maigre en éléments matériels tangibles et des prévenus mutiques à l’audience, disant ne rien savoir, ne pas avoir de téléphone, ne pas se connaître entre eux, ou à peine. « Fuyants comme des anguilles », autre parallèle avec les affaires de drogue, résumera la présidente, Caroline Baret.

Une peine de deux ans de prison ferme – aménageable – et 30.000 euros d’amende a été prononcée contre le principal prévenu, deux ans dont un avec sursis et 30.000 euros aussi contre un second, apparemment chargé d’exporter la marchandise mais absent à l’audience. Les deux « convoyeurs » ont été condamnés respectivement à 18 mois et 1 ans de prison avec sursis et mise à l’épreuve de deux ans. Deux pêcheurs de civelles de Charente-Maritime, un père et son fils pêcheurs professionnels, avec licence mais soupçonnés d’alimenter le trafic, ont pour leur part été relaxés.