Protéger 30% des terres et des océans : cet objectif phare de la prochaine COP15 sur la biodiversité inquiète les peuples autochtones, qui craignent qu’il porte atteinte à leurs droits.
La 15e réunion de la Convention de l’ONU sur la diversité biologique (CBD), qui se tiendra en 2021 en Chine, est cruciale car elle permettra de définir un cadre mondial pour la protection de la nature jusqu’en 2030. Une des propositions clé est de protéger 30% de la planète d’ici la fin de la décennie. L’initiative dite 30×30, portée par le Costa Rica, la France et le Royaume-Uni, compte plus de 50 États engagés. Les peuples autochtones seront « impliqués en tant que partenaires dans la conception et la gestion de ces aires« , assurent les défenseurs de cette mesure. Mais les peuples autochtones craignent qu’elle serve de prétexte pour les expulser de leurs terres, comme cela s’est produit par le passé.
Quand le parc national de Kahuzi-Biega, dans l’est de la République démocratique du Congo, s’est fortement agrandi en 1975, la communauté Mbuti a perdu plus que l’accès à la forêt. « Aujourd’hui on n’a plus accès aux plantes médicinales« , rappelle Diel Mochire, directeur régional du Programme Intégré pour le Développement du Peuple Pygmée. « En forêt, on avait facilement accès aux ressources. (Maintenant) il faut tout acheter« .
« En décidant d’un objectif sans des standards adéquats« , la COP15 « pourrait déclencher une autre vague coloniale d’accaparement de terres« , s’inquiète Andy White, coordinateur de la coalition Initiative droits et ressources (RRI). « C’est une inquiétude tout à fait légitime« , répond Basile van Havre, co-président des négociations de la COP15, qui assure toutefois que la CBD « ménage la plus grande place aux peuples autochtones« . Les premières évictions au nom de la conservation des espaces naturels ont eu lieu au XIXe siècle, quand le gouvernement des États-Unis a violemment expulsé les Amérindiens des terres devenues les parcs nationaux de Yellowstone et Yosemite.
« Ce modèle a été exporté à travers le monde » et est toujours dominant, assure Andy White. Son organisation de défense des peuples autochtones estime que 1,6 milliard de personnes pourraient être affectées par la protection de 30% des terres et océans. « Le traité de la COP15 devrait proposer (…) des mécanismes de recours » au niveau international pour « les populations locales (qui) ne peuvent souvent pas se plaindre auprès de leurs propres gouvernements quand il y a des abus par des gardes de parcs nationaux« , défend-il. Le rôle essentiel des autochtones comme « gardiens de la nature » est mieux reconnu. En 2019, un rapport des experts biodiversité de l’ONU (IPBES) soulignait qu’ils arrivent en général à freiner le déclin des écosystèmes, ce qui s’explique notamment par leur dépendance plus grande à ces fruits de la nature. Les organisations environnementales, depuis l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) au Fonds mondial pour la nature (WWF), insistent désormais sur leur rôle crucial pour la conservation de la nature.
L’initiative 30×30 « doit être conditionnée à la pleine reconnaissance des droits des peuples indigènes et des communautés locales« , souhaite Guido Broekhoven du WWF. « Des mesures dérogatoires sont mises en place dans des aires protégées pour les activités de subsistance« , assure Yann Wehrling, ambassadeur pour la France à l’environnement. « Tant que je ne vois pas d’actions concrètes, je n’y croirai pas« , tranche Peter Kitelo, ingénieur en télécommunications de la communauté Ogiek au Kenya. En 2016, un rapport de l’ONU reconnaissait que plusieurs ONG réputées avaient violé les droits des peuples autochtones en soutenant des projets de conservation ayant entraîné leur expulsion de leurs terres.
En 2019, une enquête du site BuzzFeed sur des exactions commises par des gardes de parcs nationaux financés par le WWF en Afrique et en Asie a forcé l’organisation à ouvrir une enquête. Les peuples autochtones peuvent aussi payer de leur vie quand ils défendent leurs droits et territoires, notait l’ONG Global Witness en juillet. En 2019, sur 212 défenseurs de l’environnement assassinés, la moitié était issue de peuples autochtones.