Le Covid-19 ne menace pas que la santé humaine: la pandémie a mis à mal les efforts de protection de la nature à travers le globe, particulièrement en Afrique, avertit jeudi 11 mars l’Union internationale de conservation de la nature (UICN).
Comme d’autres secteurs, les aires protégées ont dû limiter ou arrêter un temps leurs activités quand l’épidémie de Covid19 a éclaté et dans les mois qui ont suivi. Résultat, certaines ont dû stopper leurs patrouilles anti-braconnage, leurs efforts de protection et d’éducation à la nature, des emplois ont été supprimés et des ressources tirées du tourisme perdues, constate l’UICN, une des principales ONG mondiales œuvrant pour la préservation de la biodiversité. L’organisation s’est basée sur dix enquêtes en ligne menées dans 90 pays et sur tous les continents, excepté l’Antarctique, dont le résultat est publié jeudi dans la revue de l’UICN, Parks. Plus de la moitié des aires protégées en Afrique ont été obligées d’arrêter ou de réduire les patrouilles sur le terrain et les opérations anti-braconnage, ainsi que leurs activités éducatives et de vulgarisation, selon un communiqué de l’UICN. Un quart des aires protégées en Asie ont aussi fait part d’une réduction de leurs activités. En Amérique du Nord et du Sud, en Europe et en Océanie, la plupart des aires protégées ont pu maintenir leurs activités principales, malgré des fermetures et la perte de revenus tirés du tourisme, poursuit l’UICN.
« Il n’y a pas eu de forte augmentation du type de braconnage auquel les gens pensent, très en vue, comme celui des rhinocéros par exemple« , faute de pouvoir exporter leurs cornes à l’étranger avec l’effondrement du transport international, explique à l’AFP Adrian Philips, co-éditeur de cette édition spéciale de la revue Parks. « En revanche, il y a eu une hausse d’un braconnage à plus petit niveau, pour la viande de brousse« , et ce pour plusieurs raisons: « les rangers ont été confinés ou ont perdu leur travail (…) Des communautés pauvres, qui dépendaient du tourisme, se sont retrouvées incapables de survivre sans du braconnage pour trouver de la viande à mettre dans leur garde-manger », explique-t-il.
Une enquête menée dans plus de 60 pays auprès de rangers montre qu’un quart ont vu leurs salaires réduits ou les paiements repoussés, et 20% ont perdu leur emploi à cause de coupes budgétaires liées au Covid-19. Cette situation affecte particulièrement l’Amérique centrale et les Caraïbes, l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Asie. Le Brésil devrait subir une perte de 1,6 milliard de dollars de chiffre d’affaires pour les entreprises travaillant directement et indirectement avec le tourisme autour des zones protégées, tandis que la Namibie pourrait perdre 10 millions de dollars de revenus touristiques directs, selon les premières estimations. En Amérique du Nord ou autour de la Méditerranée, d’autres problématiques ont surgi. L’absence de touristes a profité à la nature dans des endroits fréquentés, mais dans certains cas, les animaux se sont rapprochés de zones habitées, leur présence pouvant générer des conflits. Autour de la Méditerranée, des réserves craignaient une explosion du tourisme à la fin des confinements, crainte qui s’est révélée fondée par exemple dans le parc national des Calanques en France, proche de Marseille (sud). « Nous ne pouvons pas permettre que la crise actuelle compromette davantage notre environnement naturel« , plaide Rachel Golden Kroner de l’ONG Conservation International, citée dans le communiqué. « La science nous montre clairement que nous devons agir urgemment pour mieux préserver » la nature et les espaces protégés, considérés comme « un de nos meilleurs alliés contre l’émergence de nouvelles pandémies« , renchérit Mariana Napolitano Ferreira, de WWF Brésil.
Les réponses des gouvernements aux conséquences de la pandémie mettent également la conservation de la nature en danger. Ainsi certains souhaitent accentuer l’extraction des ressources à tout prix. Parmi les exemples inclus dans le rapport figurent les propositions du gouvernement brésilien visant à autoriser l’exploitation minière et l’extraction de combustibles fossiles dans les réserves indigènes, les nouveaux permis délivrés en Russie qui autorisent la déforestation de zones naturelles pour le transport et les infrastructures, et l’avancement des projets d’exploration et de forage de pétrole et de gaz dans l’Arctique américain. Un examen des plans de relance économique mis en œuvre ou avancés entre janvier et octobre 2020 par les pays a également révélé que si certains gouvernements ont inclus des zones de conservation et des financements supplémentaires pour la nature, beaucoup ont diminué les protections environnementales.
Les auteurs de l’article paru dans Parks ont aussi cherché à tirer des leçons de la situation créée par la pandémie. Il en ressort plusieurs propositions, comme « un fonds d’urgence » en Afrique pour maintenir les activités essentielles de conservation de la nature et aider les populations locales vulnérables. Plus généralement, ils appellent à une diversification des ressources financières pour que certaines populations locales ne dépendent pas uniquement du tourisme international, qui peut être mis à mal par des crises. Ils souhaitent aussi un usage plus massif de technologies de surveillance comme les drones ou encore un partage des connaissances sur les zoonoses.