En face de la Tour Eiffel, à cinquante mètres d’une poubelle dont le fond a été déchiqueté pendant la nuit, un bout de museau pointe hors d’un terrier creusé au pied d’un arbre. Il est six heures, Paris s’éveille, les rats se terrent, les électeurs en parlent.
Depuis toujours, les rats font partie du paysage urbain souterrain de Paris. Mais
aujourd’hui les rats des villes, en particulier ceux de la capitale, arrivent à l’air libre, chassés notamment par les crues à répétition ou les travaux sur ou sous la voirie, et alimentent les débats de la campagne des élections municipales. Via les réseaux sociaux, leur présence au bord de la Seine, dans les parcs et jardins, a été médiatisée à plusieurs reprises depuis 2017. Le maire du XVIIe arrondissement Geoffroy Boulard (LR) a mis les pieds dans le plat en créant une « brigade citoyenne » et un site pour signaler les rongeurs, après avoir dû fermer « des crèches, des cours d’école » parce qu’il « était impossible aux enfants d’y circuler« , a-t-il affirmé à l’AFP. La municipalité d’Anne Hidalgo a aussi engagé de nombreuses actions correctives, notamment pour ne pas dégrader le potentiel touristique de la ville lumière avant les jeux Olympiques de 2024. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
« Ils font des passages partout, dans les canalisations, le long des clôtures de parcs, on peut les suivre à la trace« , indique Stéphane Bras, porte-parole de la chambre syndicale des entreprises spécialisées dans la dératisation, la désinsectisation et la désinfection (cs3d), en montrant à l’AFP les terriers dans un petit jardin du Trocadéro, en face de la Tour Eiffel.
A cette heure matinale, où deux ou trois rats circulent encore furtivement le long d’une petite haie, les premiers joggers passent en courant. « Quand les rats ont conquis un territoire, ils n’ont guère de raison de reculer« , dit M. Bras. Et pourtant des boites pièges sont posées sous les bancs. Une poubelle flambant neuve métallique, enterrée, inaccessible aux rongeurs, est installée à proximité. Mais elle déborde. Et d’autres sacs de déchets sont posés à côté. « Il faudrait une dizaine de poubelles renforcées car on est (au Trocadéro) dans l’un des quartiers les plus fréquentés de Paris« , avance M. Bras. L’an dernier, les 1.200 entreprises de dératisation en France ont constaté une augmentation de 23% des interventions concernant les rats, selon la cs3d. Les causes sont multiples: depuis la généralisation des pique-niques urbains, les déchets comestibles s’accumulent sur la voie publique, obligeant les équipes municipales à décaler les heures de collecte et de nettoyage. Et surtout à passer tard pour ne pas laisser place libre aux festins nocturnes de rongeurs.
De plus, à Paris, les poubelles dites « vigipirates » en plastique transparent (pour empêcher le dépôt d’objets explosifs, NDLR) sont accessibles aux rats. Redressés sur leurs pattes arrières, ils grignotent les contenus comestibles, reconnait la mairie. Pour Pierre Falgayrac, ingénieur et expert en hygiène et sécurité, auteur du « Grand guide de lutte raisonnée contre les nuisibles et bioagresseurs urbains » (Editions Lexitis, 2014), beaucoup repose sur l’anticipation et la prévention. « A Toulouse, aucun média n’a rapporté d’invasion de rats alors que la ville construit un métro souterrain« , dit-il à l’AFP, grâce à des opérations de dératisation préventive avant le début des travaux. « En sous-sol, les rats jouent un rôle écologique fondamental« , dit à l’AFP Paul Simondon, adjoint à la propreté de la mairie de Paris. Ils nettoient les canalisations ou égouts. « La difficulté, c’est leur présence en surface due à la présence de nourriture disponible » laissée par les passants ou des commerces indélicats. Depuis 2017, la brigade municipale chargée du sujet à Paris a été renforcée à 75 agents, 4.500 poubelles ont été changées dans les parcs et jardins, et plus de 500 pièges à alcool installés, fait-il valoir.
Les grandes villes s’échangent leurs « trucs« : New York vient d’importer les pièges à alcool parisiens et Paris a copié la « carbo-glace » new-yorkaise, du CO2 sous forme solide pour asphyxier les rongeurs dans leurs terriers en cas de surpopulation, explique M. Simondon. Un activisme sanitaire parfois critiqué par des associations animalistes comme Zoopolis, dont une poignée de militants a manifesté contre « l’empoisonnement des rats » début février à Paris.
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