L’espace, nouvel eldorado de la sécurité maritime civile ? Une PME française mettra lundi 16 novembre sur orbite deux nanosatellites capables de détecter la présence de navires non coopérants (« dark ships ») pour lutter contre la pêche illégale, la pollution et la piraterie.
Baptisés BRO-2 et BRO-3 pour « Breizh-Recon-Orbiter », des mini-satellites -à peine plus grands qu’une boîte à chaussures- appartiennent à la PME rennaise Unseenlabs et viendront appuyer BRO-1, sur orbite à 550 km depuis août 2019. Les trois engins ont pour mission de recueillir la « signature » des bateaux en captant les ondes électromagnétiques (ROEM) émises par les navires à la verticale, une technologie qui permet aux opérateurs civils ou militaires d’accroître la sécurité en mer et de lutter contre la délinquance maritime.
La technologie d’Unseenlabs, qui reste secrète, permet de désigner depuis l’espace un bateau avec une précision de un à cinq kilomètres. « Notre donnée n’est pas forcément destinée à être délivrée toute seule, elle a vocation a être intégrée dans un rapport de surveillance maritime« , souligne Clément Galic, 37 ans, qui a fondé en 2015 Unseenlabs avec son frère Jonathan, 40 ans. Sur un écran les deux frères montrent une carte avec des données enregistrées par BRO-1 il y a quelques jours. Au large du Pérou, des dizaines de cercles rouges indiquent la présence de bateaux qui ont franchi la limite des zones de pêche.
« Voilà ce que l’on capte. On voit qu’il y a une dizaine d’intrusions dans la zone« , explique Clément Galic à l’AFP. « Comme par hasard tous ces bateaux ont coupé leur AIS (système d’identification automatique ou transpondeur)« , souligne cet ingénieur spécialiste en renseignement, comme Jonathan, ex-ingénieur dans l’aérospatiale. Les deux nouveaux nanosatellites, dont les noms sont un clin d’œil à la Bretagne, seront lancés lundi entre 1 h 40 et 4 h 40 (heure française) depuis le pas de tir de la société Rocket Lab, spécialisée dans le lancement de mini-fusées, sur la péninsule Mahia en Nouvelle-Zélande. D’ici 2024, Unseenlabs prévoit de déployer dans l’espace une « constellation » de 20 à 25 de ces satellites en capacité de faire 10 à 20 acquisitions/jour pour « construire de façon très précise la route des bateaux« .
« Il y a un enjeu stratégique pour le futur« , estiment les deux frères. « Pour l’instant le gros de la demande, c’est la lutte contre la pêche illégale« , notamment dans le Golfe de Guinée, indique Jonathan. La PME compte parmi ses clients des organisations chargées de l’action des États en mer, ministères de la pêche, marines nationales. « Il faut voir que les océans sont vastes et qu’il y a un manque de surveillance« , ajoute Jonathan.
Après avoir décroché en 2016 le grand prix d’innovation du concours I-Lab créé par le ministère de la Recherche, la jeune pousse a, en 2018, levé 7,5 millions d’euros auprès du fonds d’investissement du ministère des Armées Definvest géré par la BpiFrance et la DGA (Direction générale de l’armement), de Breizh up et Hemeria.
Unseenlabs emploie 16 salariés et compte des clients en France et à l’étranger. La PME réalise un chiffre d’affaires de deux à quatre millions d’euros/an. Ses informations sont vendues sur abonnement et permettent aux décideurs de déclencher des interventions en mer. Pour Hervé Baudu, professeur à l’École nationale supérieure de la Marine (ENSM) c’est « une très belle performance ». Mais l’universitaire rappelle que la technologie n’est pas nouvelle : « Il y a Hawkeye, qui est américain. Ce qui est nouveau c’est l’utilisation de ces techniques sur des besoins civils » qui permettent de percevoir la présence d’un navire au-delà de la portée côtière d’une quarantaine de kilomètres.
Ces satellites en très basse orbite recueillent des « chutes » d’informations qui vont « corréler ce que je vois en radar« . La sécurité maritime est le principal enjeu mais « l’autre aspect est lié au terrorisme, à la piraterie, la pêche, ou un bateau qui serait en difficulté, ou pour des raisons économique, un armateur qui a besoin de statistiques sur les routes fréquentées« , souligne M. Baudu. Un marché lucratif sur lequel des sociétés comme Exactearth commercialisent déjà des abonnements qui se chiffrent « en millions d’euros », selon l’universitaire.