Renouer avec des pratiques ancestrales -la ruche-tronc ou la culture du sarrasin- pour préserver l’abeille noire menacée de disparition : c’est tout l’enjeu d’un projet mis en place sur la commune cévenole de Pont-de-Montvert (Lozère).
« Les anciens avaient une sensibilité vis-à-vis de la nature et des savoir-faire qu’il est indispensable de transmettre pour revenir à une apiculture et une agriculture durables », explique Yves-Elie Laurent, qui a lancé en 2008 l’association « L’Arbre aux abeilles » et le projet agro-culturel de « La Vallée de l’abeille noire ». Les travaux du Dr Lionel Garnery, spécialiste de la génétique de l’abeille au CNRS, montrent une forte présence sur ce territoire cévenol de colonies d’abeilles appartenant à la sous-espèce Apis mellifera mellifera, communément appelée abeille noire, la seule qui existait sur le territoire français avant l’industrialisation des pratiques agricoles. Installée depuis plus d’un million d’années dans le nord-ouest de l’Europe, cette abeille, qui produit un miel peu abondant mais de grande qualité, a été victime de multiples facteurs: importation massive d’autres sous-espèces, pesticides, virus et parasites comme le varroa, d’origine asiatique. Pour Yves-Elie Laurent, qui fut longtemps réalisateur de documentaires avant de devenir apiculteur au pied du Mont Lozère, il s’agit avant tout de « reconstruire un environnement favorable pour les hommes et pour les pollinisateurs » pour éviter que cette abeille ne disparaisse. C’est Paul Chapelle, un apiculteur aujourd’hui âgé de 99 ans, qui lui a fait redécouvrir la ruche-tronc, un modèle multiséculaire d’apiculture durable, directement inspiré du processus de nidification des abeilles à l’état sauvage dans des troncs d’arbres creux. « Ce rucher-tronc a trois siècles », explique Yves-Elie Laurent en montrant à l’entrée du hameau de Saint-Maurice de Ventalon un ensemble architectural composé de murs de pierre sèche en terrasses, sur lesquels reposent une vingtaine de troncs creux de châtaigniers recouverts de larges lauzes. La majorité des ruches-tronc ont été désertées mais à l’intérieur de deux d’entre elles, des abeilles s’affairent sur de splendides alvéoles.
« C’est un système bioclimatique avant la lettre, ça fait des milliers d’années que nos ancêtres avaient compris que c’était favorable pour les abeilles, notamment car cela les protège du vent et de l’humidité dont elles ont horreur », souligne l’apiculteur. « Le cœur de la colonie doit maintenir une température de 35 degrés pour le bon développement des larves », précise Lucile Quentin, chargée de projet. Dans le cadre de la transmission des savoir-faire qui fait partie de ses missions, l’association bâtit un nouveau rucher-tronc de deux étages et 10 ruches sur les bords du Tarn, avec des galets d’alluvions de granit et des ruches-tronc fabriquées lors de divers ateliers qui réunissent des participants venus de la France entière et parfois de l’étranger. Car ce modèle ancestral est une source d’inspiration sur les plans national et international pour une apiculture sédentaire et respectueuse des rythmes naturels. En contrebas, l’association a également planté du sarrasin depuis deux ans près de ruches à cadre. « Cette plante longtemps abandonnée offre une ressource géniale pour les pollinisateurs, avec une floraison d’un mois et demi en juillet/août quand les autres sources se sont taries », explique Yves-Elie Laurent. Le retour dans la vallée du sarrasin, plante qui ne requiert ni pesticide, ni désherbant, a eu un effet immédiat: « Au moment de la floraison, on a remarqué le retour de nombreux insectes pollinisateurs: des bourdons, des papillons, des coccinelles, des scarabées, des abeilles sauvages… », raconte Lucile Quentin.
Cette culture permet également la production locale de produits alimentaires sans gluten –farine, pâtes, biscuits– qui sont commercialisés en circuit court, souligne-t-elle. Un conservatoire d’arbres fruitiers anciens de la région, sauvés de l’oubli par l’association Vergers de Lozère, est également implanté sur le site qui se veut un sanctuaire pour l’abeille noire. L’association espère ainsi instaurer un projet de développement territorial global qui permette de sortir du « trip 100% vache » et pourrait bénéficier aux habitants, aux commerces et au tourisme dans la vallée du Haut-Tarn.