Jaune bien sûr, mais aussi noir, violet ou multicolore : dans sa ferme biologique du Périgord, Armand Duteil cultive du maïs à partir de « semences paysannes » issues de variétés produites par les agriculteurs eux-mêmes. Un moyen de préserver la biodiversité, mais aussi leur indépendance face aux semenciers industriels.
« J’avais la volonté de rompre avec un système qui ne laisse aucun choix au producteur, sur sa production, sur le prix… Aujourd’hui, pour mon maïs, je n’achète ni semences, ni engrais ou pesticides chimiques, je suis totalement autonome depuis 2012 », explique cet agriculteur installé en polyculture sur la commune de Bourdeilles, à une vingtaine de km de Périgueux, et passé au bio en 2010. Depuis six ans, Armand Duteil n’a plus recours aux semences brevetées des géants industriels, qu’il devait racheter chaque année. Il n’utilise que ses semences, sélectionnées et multipliées par lui-même, sans manipulation génétique et totalement libres de droit. Il peut les échanger avec d’autres agriculteurs depuis 2016, et selon une nouvelle directive européenne, devrait pouvoir les vendre à partir de 2021. Mais il ne s’est pas lancé seul. « Il faut échanger, partager, car on a perdu beaucoup de connaissances et de savoir-faire » pour sélectionner et multiplier les semences comme on le faisait en France jusqu’aux années 1950. Et il y a le risque de perdre sa récolte et de se retrouver sans semences. L’agriculteur fait alors appel à la « Maison de la semence » de Dordogne. Cette structure pionnière a été lancée au début des années 2000 par un autre agriculteur du cru, Bertrand Lassaigne, avec l’association Agrobio Périgord, pour retrouver des semences paysannes, en particulier de maïs, longtemps aliment de base du Sud-Ouest.
A l’époque, Bertrand Lassaigne, agriculteur biologique au Change, à une trentaine de kilomètres de là, regrettait de n’avoir à disposition que du maïs hybride, issu de croisements industrialisés et qui ne se resème pas. Il se rend en Amérique centrale et rapporte une dizaine de variétés de semences de maïs locaux, issus de l’agriculture traditionnelle. « Tout le monde me prenait pour un fou, raconte-t-il. Mais on a commencé les premières expérimentations avec Agrobio, le bouche-à-oreille a fait le reste. Certains m’ont ramené des semences qui venaient de leurs aïeux ». Un autre voyage au Brésil où existent des « Casas das sementes » inspire la création sur son exploitation de cette première « Maison de la semence » française. « Au début, on a fait les choses discrètement car on pouvait être poursuivi pour +contrefaçon+ ». Car la loi impose que toute semence qui circule par échange, don ou commercialisation soit inscrite au Catalogue officiel des variétés, dépendant du ministère de l’Agriculture. Pour rester dans les clous, les agriculteurs utilisent une brèche : la loi permet d’échanger et semer, sans passer par le Catalogue, dans le cadre d' »expérimentations ». « Plus il y a eu +d’agriculteurs expérimentateurs+, plus nous avons eu de retours de semences. Nous avions besoin d’une structure de gestion collective des échanges, d’où la Maison de la semence », explique M. Lassaigne. Car tout agriculteur qui reçoit gratuitement des « semences paysannes » s’engage à en rendre à la structure trois fois le volume dès sa première récolte. A ce jour, un millier d’agriculteurs d’Aquitaine et d’ailleurs sont passés par la structure avec une « augmentation des demandes depuis deux ans », constate Elodie Gras, responsable de programme à Agrobio Périgord. Le projet a aussi permis de retrouver des variétés qui ne figuraient pas dans la banque de semences collectées par l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) dans les années 1950-1960, dit l’agronome. Il faut, dit-elle aussi, cultiver ces variétés et non pas simplement les conserver, pour garantir l’évolution génétique.
Bertrand Lassaigne comme Armand Duteil expriment leur satisfaction de « retrouver la chaîne complète » de production, d’autant que leur maïs se révèle bien plus nutritif. Mais la nouvelle directive européenne qui doit autoriser les agriculteurs bio à vendre leurs semences paysannes, suscite la méfiance : il ne faudrait pas qu’elle permette aux semenciers d’utiliser le bio pour une nouvelle industrialisation et de nouveaux brevets, craignent-ils.