Des milliers d’hectares brûlés et de personnes évacuées : les incendies qui frappent la France, l’Italie et le Portugal, touchés par une période de sécheresse, risquent de s’intensifier à l’avenir, notamment à cause du réchauffement climatique.
Pourquoi plusieurs pays du pourtour méditerranéen sont-ils touchés par la
sécheresse ?
L’Italie, le Portugal et la France, « à l’exception de la Corse, ont connu cet hiver des précipitations inférieures de 20 à 30% par rapport à la normale », explique Michèle Blanchard, climatologue à Météo-France. En Corse, où un nouvel incendie a entraîné mercredi l’évacuation de plus de 10.000 personnes, pas une goutte de pluie n’est tombée depuis début juillet, ce qui est « exceptionnel », note-t-elle. L’Italie et le Portugal ont en outre connu un déficit de pluies au printemps. Au Portugal, où de violents feux de forêts continuaient à faire rage mercredi, 72% du territoire est en sécheresse sévère depuis fin juin. « Quand on parle sécheresse, on pense absence d’eau, mais il faut insister aussi sur la température: elle favorise l’évaporation et fait que l’absence d’eau sur les sols est plus cruciale », souligne Mme Blanchard. Or au Portugal, « le mois de juin a été l’un des plus chauds » depuis le début des mesures dans ce pays en 1931, indique Vanda Pires, météorologue à l’Institut portugais de la mer et de l’atmosphère (IPMA).
Quel est le rôle du réchauffement climatique ?
Le changement climatique va entraîner « plus de vagues de chaleur, des chaleurs élevées. Qui dit vagues de chaleur dit évaporation encore plus importante et donc sécheresse plus importante des sols, rappelle Mme Blanchard. Dans le futur, du fait du réchauffement, on va vers des sécheresses plus marquées, notamment l’été ». Selon une étude de 2014 sur les conséquences du réchauffement climatique au Portugal, les températures y ont augmenté plus que la moyenne mondiale au cours des cinquante dernières années. Les vagues de chaleur y sont devenues plus fréquentes et les précipitations annuelles légèrement inférieures, selon cette étude parue dans la revue WIREs Climate Change.
Avec des saisons plus chaudes et plus sèches, des incendies spectaculaires ont frappé le Canada ou la Russie, par exemple. L’Europe est également touchée : selon une étude européenne (PESETA II), les surfaces susceptibles de brûler en Europe du Sud pourraient augmenter de 50% à plus de 100% au cours du 21ème siècle, en fonction de l’intensité du réchauffement. Le changement climatique est susceptible « d’augmenter la durée et la sévérité de la saison des feux, les zones à risque et la probabilité de grands feux », souligne-t-elle.
Cette année en France, la saison des incendies a débuté la deuxième semaine de juin, au lieu de juillet et la zone à risque est remontée au fil des ans, selon les chercheurs, dans l’arrière-pays, dans les Alpes-du-Sud, les Cévennes ou le Massif Central. Dans l’avenir, les chercheurs s’attendent à « plus d’aléa météo » et davantage de mauvaises années. Deux tiers des feux sont éteints très rapidement et brûlent moins d’un hectare, mais à l’inverse, 3% des incendies, que les pompiers n’arrivent pas à maîtriser rapidement brûlent trois quarts des surfaces. La France est par contre pour l’instant épargnée par les « méga-feux » qui ont ravagé par exemple le Portugal.
Comment limiter les risques ?
Au-delà de l’action de long terme contre le réchauffement, il faut notamment maîtriser l’urbanisation, maintenir des coupures agricoles dans les paysages pour empêcher le feu de se propager, débroussailler son jardin, respecter les consignes de sécurité en forêt, éviter les plantations d’essences inflammables. Le Portugal vient ainsi d’adopter une réforme des forêts visant à réduire à terme le nombre des eucalyptus présents en masse sur son territoire. Cette espèce très inflammable occupait en 2010 une superficie de 812.000 hectares, en hausse de 13% par rapport à 1995.
Cet épisode de sécheresse va-t-il durer ?
Selon Météo-France, « aucun scénario ne se dégage » en termes de précipitations pour les pays méditerranéens dans le trimestre à venir (août, septembre, octobre). Mais globalement, un temps « plus sec que la normale » devrait régner sur l’Europe occidentale, le sud de la Scandinavie et les pays baltes.
Quel impact sur les incendies ?
Un air plus chaud est synonyme de végétation plus sèche, plus inflammable. Plus le mercure grimpe, plus le risque d’incendie augmente. De telles conditions météorologiques augmentent aussi l’intensité des incendies: on voit désormais se déclencher des feux que les pompiers ne parviennent pratiquement pas à éteindre. Et depuis une cinquantaine d’années, la saison propice aux incendies s’étend de juin à octobre, contre juillet-août précédemment. Ils touchent de plus en plus souvent des zones de plus de 100 hectares, notamment en Europe méditerranéenne. Selon une étude européenne (PESETA II), les surfaces susceptibles de brûler en Europe du Sud pourraient augmenter de 50% à plus de 100% au cours du XXIe siècle, selon l’intensité du réchauffement. Le changement climatique est susceptible « d’augmenter la durée et la sévérité de la saison des feux, les zones à risque et la probabilité de grands feux », souligne-t-elle.
La forêt brûle-t-elle plus qu’avant ?
En France, les incendies de forêt ne sont « globalement pas un phénomène nouveau, rappelle Thomas Curt, directeur de recherche à l’Irstea, un institut public. Avant les années 1990, la lutte et la prévention étaient moins bien organisées », et les grands feux plus fréquents, explique-t-il. Une nouvelle stratégie de lutte a été mise en place, avec par exemple plus de surveillance aérienne pour éteindre les feux plus tôt : « le nombre de feux a ensuite diminué de l’ordre de 25% », relève-t-il. Ces 15 dernières années ont été marquées par une alternance d’années « noires », comme 2010 et 2016, où 16 à 17.000 hectares sont partis en fumée, et d’années de répit, comme 2014 (3.230 hectares brûlés). Les conditions météo sont largement responsables de ces variations, explique Thomas Curt. Les soldats du feu gardent en mémoire la canicule de 2003, cauchemardesque pour eux : 73.300 hectares de forêt avaient brûlé.
Quels autres facteurs favorisent les incendies ?
« Depuis les années 1970, les paysages du sud-est deviennent plus favorables aux incendies », relève le chercheur : l’agriculture recule, la forêt s’étend naturellement et les terres « s’embrouissaillent ». Dans les Alpes-du-sud, les Cévennes, l’Ardèche, l’Aude, les Pyrénées Orientales ou encore l’arrière-pays niçois, la végétation combustible, pins d’Alep et chênes, s’étend. D’autre part, « les gens ont envie d’habiter près de la forêt, et les constructions à risque, en bordure des forêts ou des garrigues, pullulent : plus vous avez de maisons, de lignes électriques, de routes, et plus vous
avez de départs de feu », déplore le chercheur.
Les feux de forêt sont-ils une fatalité ?
Neuf feux sur 10 sont allumés par l’homme, accidentellement ou , ont calculé les scientifiques de l’Irstea. Au-delà de l’action de long terme pour tenter de contenir le réchauffement climatique, habitants et pouvoirs publics des zones à risque doivent prévoir et s’adapter, souligne M. Curt. Il faut maintenir des coupures agricoles dans les paysages », avec des zones cultivées, oliveraies ou vignes par exemple, qui empêchent le feu de se propager, préconise-t-il. Et limiter davantage les constructions dans les zones à risque. Dans les forêts, il faudrait « favoriser les chênes au lieu des pins et même faire des coupes à certains endroits », précise Michel Vennetier, forestier à l’Irstea. Chacun peut agir à son échelle, ajoute-t-il : respecter les interdictions d’aller se promener en forêt dans les périodes à risque, bien débroussailler son jardin et y planter des espèces moins inflammables, réduit considérablement les risques.