L’accumulation de nouvelles inquiétantes liées au réchauffement climatique provoque une multiplication de cas d' »éco-anxiété » mais ce phénomène « n’est pas pathologique en soi » malgré de rares cas prenant des formes extrêmes, rassure la psychologue Hélène Jalin, qui travaille depuis 2017 sur le sujet.
« Si on prend l’acception la plus large, qui est en fait la plus utilisée dans le monde de la recherche, cela englobe toutes les émotions désagréables potentiellement ressenties face à l’urgence climatique, non seulement l’anxiété mais aussi la colère, la tristesse, la culpabilité, etc. », résume Mme Jalin. Mais la psychologue, qui se considère elle-même comme sujette à l’éco-anxiété, rappelle qu' »aucune définition ne fait consensus à l’heure actuelle ». « En ce moment, un chiffre circule sur les réseaux selon lequel il y a 2,5 millions de personnes éco-anxieuses en France, mais pour moi il n’est étayé par aucune base scientifique », dit Mme Jalin, qui anime à Nantes un groupe thérapeutique pour apprendre à « mieux vivre avec son éco-anxiété ». « L’éco-anxiété n’est pas pathologique en soi, c’est juste une réaction normale face à une situation qui est problématique: le changement climatique, bien réel », insiste la psychologue. « La grosse différence entre l’éco-anxiété et toute autre forme d’anxiété qui serait pathologique, c’est le côté irrationnel. Si vous avez peur des araignées sous nos latitudes, c’est un peu irrationnel par rapport à la réalité du danger. Mais est-ce irrationnel d’avoir peur de l’avenir du climat ? » « Certaines personnes ont du mal à gérer ça, notamment celles qui au départ vont très bien mais qui se retrouvent face à un choc émotionnel lié au climat, un pic d’anxiété qui est rationnel mais qu’ils ne savent pas gérer parce qu’ils n’ont jamais vécu ça », explique Hélène Jalin.
« Côté obsessionnel »
Dans certains cas, cela s’exprime de manière pathologique, parfois avec des formes extrêmes dites « paralysantes », mais Mme Jalin assure que très souvent, cette éco-anxiété a « quelque chose de positif » et devient un moteur qui « fait bouger sur le plan comportemental ». « J’ai croisé des personnes qui ne pouvaient plus sortir en ville parce que tout leur rappelait l’effondrement à venir, une personne qui ne pouvait pas sortir sans un sac de survie (…) Là on peut considérer que c’est assez irrationnel: la personne passait une grande partie de son temps libre à chercher comment filtrer son eau », raconte Mme Jalin. « On arrive dans les logiques plus survivalistes » car « les éco-anxieux purs et durs sont +collapsaux+, ils pensent vraiment que la société dans son ensemble et la biodiversité vont s’effondrer et qu’on va tous mourir de famine », dit-elle. « J’ai une patiente éco-anxieuse qui passe la moitié de sa nuit à regarder des vidéos là-dessus, elle se torture en fait. Tout ce qui peut être de l’ordre du loisir est devenu anecdotique et fait l’objet de culpabilisation de sa part », poursuit la psychologue. « Il y a les deux extrêmes dans l’anxiété pathologique: soit la paralysie soit à l’inverse le côté obsessionnel qui prend vraiment le dessus, avec un engagement extrême dans le militantisme. J’ai rencontré des personnes qui étaient dans 20 associations différentes et qui consacraient 70 heures par semaine de leur vie à bosser sur ces sujets-là. Ils en arrivaient à s’oublier complètement. » « Je pousse tous mes patients à aller vers le militantisme parce qu’ils se sentent moins seuls et aussi ils se sentent moins coupables. Car les éco-anxieux ont tendance à porter toute la culpabilité du monde entier sur leurs épaules alors qu’ils ne peuvent pas y faire grand chose. » « S’investir sur le plan collectif, ça améliore en général leur santé mentale, à condition de ne pas aller vers quelque chose qui est de l’ordre du burn-out », précise Mme Jalin.