Réduire le recours aux engrais azotés est possible et bénéficierait à l’environnement et à la santé, tout en conservant des rendements agricoles capables de nourrir 10 milliards d’humains, estiment des chercheurs dans une étude publiée par la prestigieuse revue scientifique Nature.
Les travaux, publiés le 4 janvier par un groupe de chercheurs internationaux ayant analysé plus de 1.500 relevés sur des terres cultivées du monde entier, présentent 11 réformes à mettre en oeuvre d’urgence pour réduire la pollution par les engrais, sans sacrifier les rendements, notamment par la rotation des cultures ou un système de « crédits azote ». Les avantages de la réduction de la pollution azotée d’origine agricole sont environ 25 fois supérieurs aux coûts de la mise en place de ces mesures, estimées par l’étude à 34 milliards de dollars par an, écrivent les scientifiques. Pour la Chine et l’Inde – dont l’utilisation intensive d’engrais en fait les principaux pollueurs d’azote au monde – ce coût serait d’environ 5 et 3 milliards de dollars. A l’inverse, la diminution des décès prématurés causés par la pollution azotée et celle des dégâts sur la nature ainsi que l’augmentation des rendements agricoles pourrait représenter un bénéfice de près de 500 milliards de dollars. « Compte tenu des multiples impacts des dérivés réactifs de l’azote sur la santé, le climat et l’environnement, il faut le réduire dans tous les milieux comme l’air et l’eau », explique à l’AFP l’auteur principal, Baojing Gu, professeur à l’université de Zhejiang en Chine. Mais les mesures proposées pourraient aussi avoir un impact « légèrement » négatif sur la lutte contre le changement climatique, en entraînant « une moindre séquestration du carbone par les écosystèmes », ajoute M. Gu. Malgré des bénéfices à long terme considérables, une telle réforme de la gestion de l’azote a des coûts de démarrage hors de portée pour de nombreux petits exploitants agricoles, à moins d’être soutenue par de fortes politiques publiques. Un système de « crédits d’azote » pourrait toutefois subventionner les agriculteurs qui adoptent ces techniques innovantes. Pour amorcer ce cercle vertueux, les financements pourraient être abondés en taxant les denrées alimentaires ou les activités et produits polluants.
« Cycle de l’azote »
L’utilisation intensive d’engrais chimiques a aidé à multiplier par quatre la population humaine au cours du siècle dernier, rappellent les auteurs, et reste essentielle pour nourrir une population terrestre estimée à 9,7 milliards de personnes d’ici 2050. Mais l’explosion des récoltes permises par la révolution agricole s’est faite au détriment de l’environnement. Aujourd’hui, plus de la moitié de l’azote contenu dans les engrais s’infiltre dans l’air et dans l’eau, entraînant une pollution toxique, l’acidification des sols, l’amincissement de la couche d’ozone et une érosion de la biodiversité. Le monde est naturellement inondé d’azote, essentiel à toute vie sur Terre, en particulier des plantes. Près de 80% de l’atmosphère en est constituée, sous une forme gazeuse (N2) toutefois peu utile à la plupart des organismes vivants jusqu’à ce que les microbes ne le transforment en ammoniac métabolisable. Ce processus achemine chaque année quelque 200 millions de tonnes d’azote dans le sol et les océans. Sous différentes formes, l’azote retrouve le chemin de l’atmosphère grâce aux bactéries, notamment dans les zones humides, ou après avoir été disséminées dans les océans ou brûlées. Mais ce « cycle de l’azote » naturel est massivement déséquilibré par l’utilisation de quelque 120 millions de tonnes d’engrais chimiques chaque année, rappelle l’étude. Moins de la moitié de cet apport humain est effectivement absorbé par les plantes, le reste s’infiltre dans l’environnement avec son cortège de nuisances. Le défi, pour l’humanité, est de trouver la solution pour ne plus inonder les sols d’azote, et réduire son empreinte azote… Comme elle tente de réduire son empreinte carbone dans la lutte contre le réchauffement climatique.