Malgré deux décisions du Conseil d’Etat, le gouvernement insiste : les éleveurs pourront solliciter des tirs non létaux pour éloigner les ours de leurs troupeaux, mesure controversée d’un nouveau dispositif pérenne d’effarouchement du plantigrade protégé.
En 2019, face à la grogne des bergers accusant l’ours brun des Pyrénées dont la population grossissait de multiplier les attaques, le gouvernement avait expérimenté des mesures d’effarouchement de l’animal pour protéger brebis et moutons, mesures reconduites depuis chaque année toujours à titre expérimental. Avec trois ans de recul, les ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture estiment désormais que le dispositif peut être pérennisé, comme en témoigne l’arrêté publié mardi au Journal officiel. Les bilans montrent « l’absence d’effets négatifs apparents » sur la population d’ours et « une certaine efficacité concernant l’évitement de la prédation », selon l’argumentaire des ministères posté lors de la mise en consultation publique du texte fin avril. Le dispositif prévoit toujours que, sur dérogation préfectorale, les éleveurs peuvent avoir recours à un effarouchement simple (moyens sonores, olfactifs et lumineux). Un effarouchement « renforcé » à l’aide de tirs non létaux (cartouches à double détonation ou balles en caoutchouc) peut être demandé dans certaines circonstances de répétition des attaques, à condition que des mesures d’effarouchement simples aient d’abord été tentées et à l’exclusion du coeur du Parc national des Pyrénées. « C’est l’incompréhension totale », a déclaré à l’AFP Alain Reynes, directeur de l’association Pays de l’ours-Adet. « Nous ne comprenons pas que l’Etat s’acharne à vouloir effaroucher les ours quand la plus haute juridiction administrative française a considéré par deux fois que c’est illégal ». Le Conseil d’Etat a effectivement annulé en 2020 et 2021 les dispositions des arrêtés de 2019 et 2020 sur les tirs non létaux, et un recours pour celui de 2021 est en cours. Dans sa décision d’avril 2022, les juges avaient estimé que l’effarouchement simple n’est « pas de nature à porter atteinte » à l’espèce. En revanche, alors que l’ours brun est une espèce protégée, les dispositions de l’effarouchement renforcé « ne permettent toujours pas de s’assurer » que les dérogations « ne portent pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l’amélioration de l’état de l’espèce », concluaient-ils. Pays de l’ours-Adet et Ferus, deux des associations ayant porté ces procédures, ont assuré à l’AFP qu’elles allaient également attaquer le nouvel arrêté.
« Purement politique »
Le Conseil national de la protection de la Nature, consulté par le gouvernement pour ce texte, avait lui aussi donné un avis « défavorable », jugeant « contestable » la pérennisation d’une expérimentation n’ayant pas démontré son efficacité et plaidant pour des mesures comme des parcs nocturnes électrifiés ou la présence de chiens. La décision du gouvernement « est purement politique », a dénoncé à l’AFP Patrick Leyrissous, vice-président de Ferus. « C’est pour faire plaisir à certains éleveurs ». Mais ce n’est pas nécessairement le cas de tous. Pour Christian Fourcade, président de la FDSEA des Hautes-Pyrénées, ces mesures d’effarouchement sont « complètement inefficaces ». « Nous avons affaire à des animaux qui n’ont plus peur de l’Homme. Même avec des balles en caoutchouc, certains ours ne reculent plus », dit-il à l’AFP. Alors pour lui, la seule solution est « d’enlever ou d’éliminer les ours à problème », faute de quoi « un promeneur ou un berger finira par se faire bouffer ». L’espèce était au bord de l’extinction au milieu des années 1990 avec cinq individus, avant la mise en place d’un programme de réintroduction. La population est désormais estimée à 70 ours en 2021 (64 en 2020, 59 en 2019), selon l’Office français pour la biodiversité (OFB), qui estime toutefois dans son dernier bilan que le « sort de la population reste incertain ». Cette augmentation du nombre d’ours s’est accompagnée d’une levée de boucliers des éleveurs accusant le plantigrade d’attaquer les troupeaux, ravivée par la réintroduction de deux femelles slovènes en 2018. Selon le gouvernement, 486 dossiers d’indemnisation ont été enregistrées en 2021, pour un total de 723 bêtes tuées (principalement des ovins), mais la responsabilité de l’ours n’est pas prouvée pour toutes ces morts. Le pic date de 2019 avec 738 attaques signalées pour 1.620 bêtes tuées.