Des arbres face au béton: le nord de la France lutte pour préserver son sol

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Usines en friche, cité minière décrépite, terrils abandonnés : les terres artificialisées pullulent dans le nord de la France où l’on s’évertue à rendre certaines d’entre elles à la nature au prix d’un travail long et coûteux. Tout en continuant à bétonner ailleurs.

L’endroit, grillagé, ressemble encore à un terrain vague, au coeur de Quiévrechain (Nord). Jusqu’en 2011, les Fibres du Hainaut produisaient ici des plaques et des tubes en plastique.  L’usine a été démolie. Sur ce sol, dont la moitié était bétonnée, ont été plantés de jeunes arbres de moins d’un mètre, plus adaptables que des arbres adultes, pour faire jaillir de terre une forêt urbaine… dans 15 à 20 ans.  « On se projette dans un temps long, avec une végétation qui va prendre le temps de se densifier », explique le maire Pierre Griner.  Sa municipalité a investi 390.000 euros pour racheter la parcelle à l’établissement public foncier (EPF) des Hauts-de-France – dont la mission est de « recycler » ces terrains – et 100.000 pour les aménagements.  Un réseau de branchages a été installé au sol pour « fixer de la matière organique » et servir « d’abri à une petite faune », détaille le paysagiste Damien Roidot, chargé du projet. « Sa décomposition nourrira aussi le sol pour le transformer de sol stérile en sol vivant. »

Travail de Sisyphe

Portée par une volonté politique, cette renaturation est rendue possible par l’abondance de bâtiments abandonnés dans cette vieille commune industrielle.  Quelques centaines de mètres plus loin, les corons de la cité minière du Corbeau attendent leur démolition.  Les maisonnettes sont en zone inondable, près de la rivière qui marque la frontière avec la Belgique. La renaturation se fait donc plutôt par défaut mais M. Griner se réjouit de l’opportunité de rendre à la zone « sa fonction initiale de site naturel tampon ».  Entre 2010 et 2019, près de six terrains de foot d’espaces agricoles ou forestiers ont été consommés chaque jour par l’urbanisation dans les Hauts-de-France, selon un récent rapport de la préfecture. L’artificialisation s’est « stabilisée » depuis 2015 mais reste à un « niveau important ».  Très peuplé, l’ancien Nord-Pas-de-Calais est aussi l’un des territoires les moins boisés de France. Mais selon Guillaume Lemoine, ingénieur écologue à l’EPF des Hauts-de-France, « cette région, qui a historiquement sacrifié ses espaces naturels, a aussi créé depuis 30 ans, voire 50 ans, les outils pour corriger ».  Et de décrire un travail de Sisyphe: « En 30 ans, nous avons recyclé plus de 5.500 hectares de friches, dont 2.000 hectares de terrils ». Environ 50% de cette surface ont été renaturés, le reste réaménagé. « Mais il y en a toujours autant, car le gisement se renouvelle », remarque-t-il.

Habitants exaspérés

La loi « Climat et résilience », votée en 2021, fixe un objectif de « zéro artificialisation nette » en France d’ici à 2050. La reconversion des friches constitue un de ses leviers.  Mais dans une étude de 2019, France Stratégie soulignait le faible nombre de vrais projets de renaturation, constatant que le processus, incluant dépollution et désimperméabilisation, coûte cher.  Dans les Hauts-de-France, la rareté du foncier maintient une forte pression sur les sols. Entre autres projets controversés, une serre tropicale géante près de la Baie de Somme et un gigantesque entrepôt logistique au sud-ouest de Lille exaspèrent les défenseurs de l’environnement.  « Sur les terres les plus fertiles de la métropole, on va construire une nappe de béton de 100.000 m2, soit 16 terrains de football », s’indigne Pascal Peperstraete, du collectif d’opposants à l’entrepôt.   « On passe outre le zéro artificialisation, au motif qu’on a signé une promesse de vente et que ça va créer de l’emploi », peste-t-il. Sollicitée, la Métropole européenne de Lille n’a pas donné suite.  Selon la préfecture, les nouvelles infrastructures logistiques sont plus consommatrices d' »espaces naturels, agricoles et forestiers » que « l’industrie, le commerce ou le bureau ».  « Cela coûte moins cher de construire de nouveaux bâtiments sur des terres agricoles où il y aura moins de surprises que dans des milieux perturbés, avec des couches de cailloux ou autres », déplore M. Lemoine.