Les arbres de Caracas menacés par des coupes anarchiques et sans logique

pixabay

1982
pixabay
⏱ Lecture 3 mn.

Un immense tronc décapité et quelques branchages sur le sol: c’est tout ce qu’il reste d’un mijao (anacardium excelsum) centenaire et majestueux, coupé sous prétexte qu’il cachait la vue des futurs habitants d’un nouvel édifice dans un quartier huppé de Caracas, accuse un jardinier.

Niché entre le parc national de l’Avila et des sommets verdoyants, Caracas compte de nombreux quartiers parsemés d’arbres, de petits parcs et espaces verts. Mais, manque de conscience écologique, anarchie ou simplement incompétence, font peser une lourde menace sur les arbres de la capitale vénézuélienne.   Eladio Acosta, 69 ans, dont 50 comme jardinier, a refusé de couper le mijao. « Ils ont cherché quelqu’un d’autre », se morfond-il, ramassant les branches de cet arbre tropical réputé pour son ombre pouvant atteindre 40 m de haut.   Officiellement, selon le document autorisant son abattage, l’arbre représentait « un risque imminent » pour les habitants de cet immeuble situé près du très chic Country Club de Caracas, zone résidentielle de haut standing.  « Il gênait parce qu’il cachait la vue de l’Avila. C’est… », maugrée Eladio qui en perd ses mots. « Je vis des arbres, pour moi les arbres sont presque comme des êtres humains ».  Il n’existe aucune statistique et voir des troncs d’arbres coupés ou des arbres disparaître du jour au lendemain est monnaie courante.  La situation est « hors de contrôle », estime Gabriel Nass, membre de Plantados, une coalition d’organisations de défense de l’environnement, qui ont décidé de se réunir pour « défendre les arbres urbains ».  Chaque jour, le groupe reçoit entre deux et trois alertes les avertissant d’abattage ou au mieux d’élagage. Il ambitionne de recenser les arbres des principales places de Caracas pour pouvoir les entretenir et les protéger.

« Sans queue ni tête »

Les défenseurs de l’environnement font état depuis 2020 d’abattage massif dans l’intérieur du pays, peu densément peuplé. Le bois sert surtout à la cuisine, remplaçant le gaz en bonbonne devenu difficile à trouver en raison de la pénurie d’hydrocarbures générée par la crise dans laquelle le pays est plongé depuis 2013.  Mais, à Caracas, où ces problèmes sont moindres, on assiste à « un abattage aveugle, sans queue ni tête », affirme Veronica Carrasco, également de Plantados, estimant que dans la plupart des cas le bois n’est même pas utilisé.   « Des résidents peuvent payer avec leur propre argent (pour abattre) un arbre qui les dérange d’une manière ou d’une autre », assure M. Nass.    En novembre, le président Nicolas Maduro avait appelé à « préserver et planter des arbres » dans la capitale. « Attention ! Ils sont en train de couper de grands arbres à Caracas (…) Gardez un oeil là-dessus », avait-il notamment lancé.   Mais c’est précisément un ministère qui a autorisé la coupe du mijao du Country Club ou de plusieurs autres arbres le long de l’autoroute urbaine de Caracas pour les remplacer par des palmiers en fer forgé et une grande sculpture du chef amérindien Guaicaipuro, symbole de la résistance indigène contre le colonisateur espagnol.   Au niveau municipal, « il y a une politique qui consiste à éviter au maximum l’abattage », a déclaré à l’AFP Darwin Gonzalez, maire de Baruta, l’une des cinq municipalités de Caracas, qui reconnaît quelques coupes mais « exclusivement pour des raisons de sécurité ». Il promet pour bientôt de planter « massivement » des arbres.  A Chacao, où se trouve le Country Club, les autorités assurent qu’elles ne coupent que les arbres secs. Elle affirment cependant ne pas intervenir dans de nombreux cas car c’est le ministère –qui n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP–  qui est maître d’oeuvre.  La mairie, qui a lancé un plan de reboisement, stipule qu’un millier des 7.000 arbres du territoire municipal sont élagués en moyenne chaque année.  « Adoptez-moi », peut-on lire sur des affiches placées dans des jardinières vides, avec le dessin d’un arbre, ou le long des trottoirs aux arbres manquants.  Plantados propose pour chaque arbre abattu d’en planter 10, ou du moins replanter ceux qui ont été coupés. C’est ce qui s’était passé en 2020 après l’abattage très critiqué de saules pleureurs sur une place emblématique de l’Université centrale du Venezuela, patrimoine mondial de l’UNESCO.  Lentement, comme l’évolution des mentalités, ces saules replantés sont en train de repousser.