À l’occasion de la Journée mondial de l’océan le mardi 8 juin 2021, le Fonds mondial pour la nature (WWF) publie un nouveau rapport qui alerte sur les ravages du changement climatique en mer Méditerranée. Un autre document, publié par l’lnstitut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes de la Tour du Valat, apporte des informations complémentaires et alarmantes sur l’état de cette mer en surchauffe.
La Méditerranée est en train de battre le triste record de la mer se réchauffant le plus vite au monde, avec des températures qui augmentent 20 % plus vite que la moyenne globale. Elle est aussi en passe de devenir la mer la plus salée de notre planète, selon un nouveau rapport du Fonds mondial pour la nature (WWF). Le document intitulé « L’effet du changement climatique en Méditerranée : histoire d’une mer en surchauffe » met en avant six impacts majeurs du changement climatique sur l’ensemble de la biodiversité marine et l’ampleur des mutations qui en résultent pour les espèces de poissons et les habitats clés ainsi que les conséquences sur les moyens de subsistance locaux.
Le WWF relève dans un premier temps que la tropicalisation de la Méditerranée orientale s’étend vers l’Ouest avec le réchauffement des eaux, provoquant de graves impacts sur les écosystèmes. Ainsi, dans les eaux israéliennes, seulement 5 à 12 % des espèces indigènes de mollusques sont encore présentes. Et les récifs appauvris qui étaient autrefois des puits de carbone deviennent des sources d’émissions de CO2 puisqu’ils rejettent le carbone jusqu’à présent séquestré. Le document note ensuite un deuxième impact significatif du réchauffement climatique sur la biodiversité marine : l’arrivée d’espèces invasives hautement destructives comme le Sigan, ou « poisson lapin », qui ravage les écosystèmes indigènes. La plupart des espèces envahissantes proviennent de la mer Rouge ou de l’océan Indien et atteignent la Méditerranée par le canal de Suez. 986 espèces exotiques dont 126 de poissons se seraient ainsi introduites dans la mer Méditerranée. Le Sigan, qui atteint une longueur à l’âge adulte de 12 à 14 cm, est particulièrement abondant et dénature complètement les écosystèmes. Sur plus de 1 000 km de côtes grecques et turques, une étude a montré que ce poisson avait entraîné une réduction de 65 % des grandes algues.
Le troisième impact majeur mentionné par le WWF est le nombre grandissant et sans précédent de méduses dans la Méditerranée, un phénomène surnommé la « gélification de la mer ». Elles perturbent les pêcheries et envahissent les plages. En effet, les méduses remplissent les filets de pêche, les équipements sont alors endommagés, leur efficacité est réduite et les équipages perdent des heures à s’occuper d’elles au lieu de pêcher les poissons qui leur assurent un revenu. En Tunisie, dans le golfe de Gabes, certains pêcheurs disent attraper plus de méduses que de poissons. Par ailleurs, le réchauffement climatique menace la survie des prairies de posidonie entrainant de graves conséquences pour la biodiversité et le changement climatique. La Posidonia oceanica est une des espèces végétales les plus importantes de l’écosystème marin de Méditerranée. Les prairies de cette lpante aquatique constituent un habitat vital pour quelques 20 % des espèces marines présentes dans la région et servent de zones de nurserie pour les nombreuses espèces commerciales importantes qui en ont besoin pour se reproduire et se développer.
Le cinquième impact présenté par le WWF dans son rapport est celui provoqué par les conditions météorologiques extrêmes détruisant de nombreuses espèces de coraux, en particulier les gorgones, aussi appelées « éventails de mer ». Ces coraux font partie des espèces les plus belles, mais aussi les plus importantes. Elles forment des forêts sous-marines qui fournissent des habitats vitaux, offrent un abri et des zones de reproduction et résistent aux algues envahissantes. Enfin, le rapport note qu’une espèce emblématique de la Méditerranée, la grande nacre (pinna nobilis), est en train de disparaître massivement. Ces coquillages se trouvent dans les fonds sableux, souvent parmi les herbiers de posidonie. Il peut dépasser un mètre de long, ce qui en fait les deuxième plus grand bivalve du monde. Grâce à sa taille, la grande nacre abrite jusqu’à 146 espèces différentes. Seulement, en raison du réchauffement climatique et du rejet des eaux de ballast, 80 à 100 % des populations ont récemment disparu lors d’un épisode de mortalité massive provoqué par un virus gastrique en Espagne, en Italie et d’autres sites méditerranéens à l’automne 2016.
Un autre rapport réalisé par des scientifiques de la Tour du Valat, institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes vient apporter d’autres informations alarmantes sur l’état de cette mer en surchauffe. Le document intitulé « Méditerranée vivante », s’appuie sur des recherches approfondies sur les études publiées ces 30 dernières années, rassemblant les suivis d’abondance de plus de 80.000 populations animales dans cette région du globe où « le changement climatique est plus rapide et l’impact des activités humaines plus fort qu’ailleurs ».
À l’échelle mondiale, le niveau de la mer a augmenté d’environ 15 cm au XXe siècle et la hausse s’accélère, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Constat du groupe de chercheurs : les populations de vertébrés du bassin méditerranéen ont baissé de 20% entre 1993 et 2016, et même de 52% dans les écosystèmes marins (pélagiques et côtiers) et de 28% dans les écosystèmes d’eau douce (zones humides et rivières). Parmi toutes les espèces recensées par l’étude, ce sont les poissons qui sont les plus touchés, victimes de surpêche. Le thon rouge a ainsi vu sa population adulte baisser de 90%. « La plupart des espèces subissent de plein fouet les effets de l’activité humaine et du changement climatique, dont l’ampleur devrait s’accroître au cours des prochaines décennies », indique Thomas Galewski, le coordinateur de l’étude. « De plus, une proportion importante d’espèces sont endémiques du bassin méditerranéen et évoluent dans des aires de répartition restreintes, les rendant plus vulnérables encore », précise-t-il.
La Méditerranée, une des régions au monde comprenant le plus grand nombre d’espèces endémiques, est la seule mer au monde entourée de trois continents. Berceau de nombreuses civilisations, elle est aujourd’hui bordée de régions très urbanisées, qui concentrent plus de 500 millions d’habitants, et 360 millions de touristes par an (27% du tourisme mondial). Les scientifiques relèvent toutefois l’impact « encourageant » de plusieurs actions de conservation comme l’encadrement de la chasse et de la pêche, la protection des habitats des espèces les plus rares, le contrôle des sources de pollution ou encore le renfort des effectifs par réintroductions. Certaines espèces comme le bouquetin des Alpes, le vautour moine, le pélican frisé et la tortue caouanne ont été sauvées par ces mesures. Mais les scientifiques notent des marges de progression dans les efforts de conservation de la nature et demandent notamment une meilleure collaboration de tous les pays, déplorant « un manque de données » sur certaines espèces, « du fait que la majeure partie des informations recensées vient des pays du Nord de la Méditerranée ».