Quand vous êtes confinés et que le stress vous pousse vers des plats gras et sucrés, le chef le plus étoilé au monde, Alain Ducasse, vient chez vous avec sa cuisine « naturaliste« , imaginée pour un palace et qui « descend dans la rue » en temps de crise.
Le concept de la « naturalité« , qui bannit la viande et réduit au minimum le beurre, ces socles de la cuisine traditionnelle française, a été conçu il y à six ans pour le restaurant « Alain Ducasse au Plaza Athénée » à Paris, 3 étoiles Michelin, fermé depuis le deuxième confinement après une brève réouverture. Préparé avec les mêmes produits qu’au Plaza, le menu « populaire » baptisé Naturaliste, conçu par le chef de ce restaurant Romain Meder et réalisé par la Péruvienne Marvic Medina Matos est désormais livré à Paris pour un prix moyen de 22 euros. Une offre à emporter qui s’ajoute à celles de pâtés, foie gras ou joues de bœuf aux lardons des bistrots traditionnels d’Alain Ducasse qui livraient déjà lors du premier confinement. « C’est le moment de prendre soin de la planète, manger de manière éthique et durable« , déclare à l’AFP Alain Ducasse.
Peu avant le reconfinement, il a publié « Le Grand livre de la Naturalité » qui raconte l’évolution de son approche, cosigné avec Romain Meder et Jessica Préalpato, cheffe pâtissière d' »Alain Ducasse au Plaza Athénée« , et consacrée meilleure pâtissière au monde par le classement 50 Best en 2019. « Le stress peut nous orienter vers les nourritures grasses, trop salées, trop sucrées, trop tout. C’est le moment de faire attention, d’où cette orientation vers la « naturalité » pour un plus grand public, déclare Alain Ducasse, couronné de 21 étoiles pour ses restaurants à travers le monde. C’est dans les cuisines du bistrot parisien Aux Lyonnais que Romain Meder travaille sur le menu « Naturaliste« , végétal avec un peu de poisson, et où maïs ou pois chiche, aliments en conserve banals dans l’imaginaire collectif, sont anoblis.
« Il est difficile d’arriver à l’essenstiel, trouver des choses simples qui vont donner du peps au plat« , raconte-t-il. Pour le maïs, c’est les origines de Marvic Medina Matos qui viennent à la rescousse avec sa culture gastronomique où « le maïs est très important« . Un des plats est construit autour de la carotte, son légume fétiche, qu’il travaille dans son intégralité, comme dans le 3 étoiles. « Je pars du principe que la carotte ne peut pas être servie sans les fanes parce qu’elles font partie du goût de la carotte« , explique Romain Meder à l’AFP. Les épluchures serviront à faire une limonade qui, réduite, donnera un caramel un peu acide.
Déshydratée, réhydratée, fermentée ou cuite en papillote avec des algues : « Avec une carotte, on arrive à faire des goûts puissants, des plats qui ont beaucoup de caractère« , dit-il. Pareil pour la pomme de Jessica Préalpato, l’un des derniers desserts créés pour le palace. « Je ne l’ai pas coupée comme j’aurais pu le faire avant, en petits morceaux (…). Vous avez une pomme qui arrive, travaillée bien sûr, déshydratée, réhydratée avec un condiment à l’intérieur« , raconte-t-elle. Une version plus radicale encore de la « desseralité« , déclinaison de la « naturalité » pour le dessert, qu’elle conçoit avec très peu de sucre –juste comme un assaisonnement–.
Si cette haute gastronomie est en hibernation pendant la crise sanitaire, Alain Ducasse croit qu’elle aura toujours sa place. « C’est comme la haute couture. Une des raisons d’être de la gastronomie, c’est la haute gastronomie. Et la haute gastronomie française est pour l’essentiel le flagship (porte-drapeau) de la gastronomie mondiale« . En attendant, le chef tente de démocratiser ses bistrots, à l’image d’Allard à Saint-Germain-des-Prés où il a invité à la mi-octobre Alexia Duchêne, 24 ans, demi-finaliste de la très populaire émission de M6 Top Chef. « Je lui ai dit : on te donne les clés, tu fais ce que tu veux« , raconte Alain Ducasse. Elle y propose un menu autour de 30 euros à midi et à 60 euros le soir, bien en dessous du ticket habituel, pour attirer un public jeune parisien en absence des touristes, un projet actuellement en suspens à cause du confinement. C’est la manufacture du chocolat d’Alain Ducasse qui marche le mieux. « Le chocolat se porte bien, dans une période de stress et d’incertitude. C’est un petit plaisir, pas trop cher, comme la barre à croquer entre 6 et 7 euros« .