Doter l’Europe de l’Ouest d’une forêt primaire, le pari du botaniste Francis Hallé

Photo d'illustration ©-Géraldine-Revillard-Fotolia

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Faire renaître en Europe de l’Ouest une forêt primaire, préservée de toute exploitation humaine, c’est le pari du botaniste Francis Hallé, qui rêve d’une forêt plus « belle » et plus « riche« , bénéfique pour les hommes et le climat.

Dans l’Union européenne, la couverture forestière se porte bien : elle progresse et couvre 40% de la superficie des 27 pays. Mais pour Francis Hallé, ces données sont trompeuses : « On mélange plantations d’arbres et forêts« , avertit le scientifique de 82 ans aillant pour ambition de faire renaître en Europe de l’ouest, une forêt primaire, préservée de toute exploitation humaine. « Dans une plantation d’arbres, il n’y a en général qu’une seule essence, des arbres ayant tous le même âge, peu de diversité végétale et donc animale. Les plantations sont traitées comme l’agriculture, avec des intrants et des pesticides« , explique-t-il à l’AFP.

Au contraire, « dans une vraie forêt, les espèces sont très nombreuses, les arbres ont des âges divers, il y en a des petits, des grands, des très grands, des arbres morts« , détaille-t-il. L’Europe a perdu toutes ses vastes forêts primaires, remplacées par des forêts secondaires, gérées par l’homme, à l’exception d’une seule : Bialowieza, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Mais elle est menacée. La Pologne a été condamnée en 2018 par la justice européenne pour des coupes de bois. Face à ce danger, « je me suis dit que la solution était de créer une forêt primaire ici, chez nous« , raconte Francis Hallé.

Il a imaginé un espace d’environ 70.000 hectares, à cheval entre la France et un pays voisin, Belgique, Luxembourg, Allemagne ou Suisse, afin d’en faire « un projet européen« . « Il faut que ce soit en plaine« , là où les forêts primaires ont été détruites en premier lieu, plaide-t-il. « La surface peut paraître énorme« , mais « en réalité c’est un carré de 26 km, ou l’équivalent de l’île de Minorque aux Baléares, un petit point sur la carte de Méditerranée », fait-il valoir.

Il faut environ un millénaire pour constituer une forêt primaire à partir d’un sol nu, une durée « imposée par la croissance de la forêt elle-même« , poursuit le botaniste. Il espère pouvoir partir d’une végétation déjà vieille de plusieurs siècles. Le but est de renouer avec « une canopée fermée et des arbres aux dimensions exceptionnelles« , de 50 à 70 mètres de haut, du bois mort où fourmillent champignons et insectes, un sol très meuble et très riche, une humidité importante, une diversité de la faune et de la flore à son apogée. La forêt ne sera complète qu’avec le retour de la grande faune, loups, ours, herbivores tels que les bisons qui ouvrent de petites clairières, insiste Francis Hallé. Recréer un tel écosystème est essentiel où le climat s’emballe et où la faune et la flore disparaissent par la faute des hommes.

« La forêt primaire offre le maximum de fixation de carbone » et est donc un allié de poids dans la lutte contre le réchauffement climatique. « Le maximum de biodiversité et le maximum de beauté« , assure Francis Hallé, qui a parcouru depuis les années 1960 ces écosystèmes en Côte d’Ivoire, en Guyane, à Madagascar, au Brésil, au Gabon… Pour mener ce projet à bien, il faudra consentir à quelques « sacrifices » : pas d’exploitation du bois, de chasse… Mais pas question pour Francis Hallé de parler de mise sous cloche. « J’ai horreur de ce terme. Les visiteurs seront les bienvenus, nous aimerions qu’ils puissent visiter la forêt dans des conditions exceptionnelles, par exemple dans la canopée« , que le spécialiste en architecture des arbres a lui-même exploré avec un « radeau des cimes« , une structure légère posée sur les arbres.

« Je m’attends à des difficultés, car forestiers et chasseurs sont persuadés que le succès de la faune et de la flore tient à eux. En tant que biologiste, je trouve cela absurde : les forêts existent depuis le Dévonien (-380 millions d’années), quand l’être humain n’était pas là. » Il espère pourtant qu’au-delà de son projet, des propriétaires forestiers laissent leurs terrains en libre évolution, sans intervention humaine. « Nous ne sommes pas nécessaires à la nature, il va falloir se familiariser avec cette idée« .