Un monastère mexicain, dernier refuge de salamandres aquatiques (3 min)

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Plusieurs heures par jour, des religieuses mexicaines interrompent leurs prières pour prendre soin de leur élevage d’achoques, des salamandres aquatiques qui fascinent les scientifiques pour leur capacité à régénérer leurs organes endommagés.

Le lac de Patzcuaro, dans l’Etat du Michoacan (ouest), au Mexique, est l’habitat naturel de l’Ambystoma dumerilii, le nom scientifique de la salamandre achoque. Mais la pollution de cette vaste étendue d’eau et l’introduction de poissons prédateurs ont fait chuter la population d’achoques. Au point que cette salamandre aquatique à la peau verte-brune tachetée de noir, et dont les branchies externes font penser à une collerette marron et spongieuse, a été inscrite sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN): dans la catégorie « en danger critique », juste avant celle « éteinte à l’état sauvage ». « Il reste très, très peu d’achoques en liberté », leur nombre a baissé « de manière dramatique » depuis les années 1980, déclare à l’AFP Maria Esther Quintero, en charge des espèces protégées auprès de la Conabio, entité du gouvernement mexicain qui étudie la biodiversité. A l’image de son cousin l’axolotl mexicain (Ambystoma mexicanum), « monstre aquatique » en langue nahuatl, également menacé d’extinction en raison de la pollution de son habitat à Xochimilco, zone lacustre du sud de Mexico, l’achoque peut régénérer ses cellules, ce qui intéresse grandement les chercheurs, notamment dans la lutte contre le cancer. Pour ces raisons, l’achoque est prisé pour ses vertus médicales supposées et consommé en soupe ou en sirop. Les nonnes du monastère Marie immaculée de la santé, dans la ville de Patzcuaro, en préparent et en vendent depuis plus d’un siècle.

Quand elles ont vu que les créatures à l’origine de leur gagne-pain étaient menacées, les religieuses ont décidé d’agir. Sous l’impulsion d’un prêtre biologiste de formation, elles ont retroussé les manches de leur habit blanc et lancé un élevage entre les murs du monastère. « Si on faisait rien, (l’achoque) allait s’éteindre (…) C’est pour être juste avec la nature que nous avons commencé à travailler pour préserver cette espèce », explique soeur Maria del Carmen Pérez. Au fil des années, les religieuses de ce monastère sont devenues de véritables expertes de cette salamandre. Elles ont ainsi constaté que les résultats étaient bien meilleurs dans le cadre de la reproduction « avec un mâle et trois femelles », explique à l’AFP soeur Ofelia Morales Francisco, qui se consacre à cette espèce depuis 18 ans. Elles ont également compris que la première femelle à pondre des oeufs devait rester dans le même aquarium, tandis que les autres étaient transférées

vers d’autres bocaux. Ils remplissent deux pièces entières de ce bâtiment religieux situé au sommet d’une colline de la ville de Patzcuaro. Sous le regard d’un enfant Jésus et d’une croix placés à proximité de l’aquarium-nurserie, chacune des femelles pond entre 300 et 400 oeufs à chaque ponte. Vient ensuite une étape délicate: « prendre soin des petits car il y a un certain cannibalisme entre eux », poursuit sœur Ofelia, qui consacre quelque six heures par jour à la reproduction des salamandres. Celles-ci se nourrissent de crustacés, de petits poissons et de différents types de vers de terre. Les religieuses sont aujourd’hui au maximum des capacités de leur élevage, qui accueille 300 individus. Mais le lac reste trop pollué pour accueillir à nouveau des achoques, explique sœur Ofelia. « C’est pourquoi nous donnons une parte de cette population aux universités. Le reste des achoques en surnombre, on le sacrifie pour faire les sirops », indique-t-elle, soulignant que les nonnes cuisinent aussi régulièrement de « délicieuses soupes » à base d’achoques.

Soeur Ofelia refuse en revanche de s’étendre sur les recettes de la vente des sirops. Pour Maria Esther Quintero, l’experte des autorités mexicaines en charge de la biodiversité, ces religieuses représentent « le plus grand espoir » pour préserver cette espèce qui « possède le génome le plus important que l’on connaisse », toutes espèces confondues sur Terre. Cette créature, qui peut mesurer jusqu’à 20 centimètres de long, est « très

importante dans le cadre de recherches sur la reproduction de tissus chez les humains », ajoute Mme Quintero. Le Zoo de Chester, à proximité de Liverpool en Angleterre, travaille en partenariat avec une équipe mexicaine pour déterminer le nombre précis d’achoques restants dans le lac de Patzcuaro. L’achoque est le frère jumeau terrible du dieu Quetzalcoatl, selon la mythologie purepecha, peuple amérindien originaire de l’Etat de Michoacan. Mme Quintero estime que si les espèces envahissantes, comme la carpe, étaient éliminées du lac, l’achoque pourrait retourner dans l’eau où, selon cette mythologie, il s’était caché afin de ne pas être sacrifié.