Coaching sportif pour félins captifs

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Portrait of a male African lion
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Pour restaurer leur condition physique et aiguiser leur instinct de chasse avant leur retour à la vie sauvage, les lions d’un refuge hollandais suivent un entrainement de champions

Suspendu à un grand crochet de boucher, un beau morceau de steak rouge frétille et zigzague d’un bout à l’autre de l’arène, sous la truffe de la lionne Dumi. Celle-ci trottine derrière sa proie de premier choix, entre rochers et étangs de cette savane artificielle, dans un refuge néerlandais au nord d’Amsterdam. Puis elle l’attrape d’un vif coup de patte dans un bond spectaculaire. Un jour peut-être Dumi retournera à la vie sauvage, grâce à ce simulateur de chasse unique au monde, manipulé par un joystick pour pousser le félin à courir après sa friandise. « C’est un système conçu pour entraîner les animaux et, non seulement leur rendre un peu d’instinct, mais aussi améliorer leur psychomotricité, leurs muscles, leur force et leurs réactions », explique à l’AFP la gardienne de la Stichting Leeuw (Fondation Lion) Daphne Pels. Ils sont 35 fauves à vivre dans ce refuge, situé à Anna Paulowna. Des lions, des tigres, des pumas et des léopards, nés en captivité pour la plupart, à qui l’association souhaite rendre une bonne condition physique et une vie meilleure, si possible, dans leur milieu naturel.

Tous sont soit sauvés des mains de propriétaires privés inexpérimentés et parfois malveillants, soit rescapés de cirques à qui les Etats européens interdisent progressivement l’usage de bêtes exotiques et pour qui il est alors trop coûteux de les garder — un félin mangeant 6 kilos de viande par jour. Comme Omar, utilisé comme lionceau par un cirque pour attirer les touristes amateurs de selfies et de câlins avant d’être revendu à l’âge adulte à un mafieux slovaque qui le gardait dans son jardin comme animal de compagnie. La fondation l’a récupéré dans un état de malnutrition avancé, la peau sur les os, sans moustache et couvert de plaies et d’excréments. Il a fallu deux ans à Omar, ample crinière fauve, cicatrice sur le museau, petits yeux ambrés et inquiets, pour retrouver un état de santé stable.

Nombre de ces fauves « dépendent des humains pour beaucoup de choses parce qu’ils étaient nourris au biberon, sont nés dans des cirques, ont eu les griffes arrachées par certains dompteurs ou propriétaires. On ne peut pas juste les mettre dans la nature », souligne Daphne, grands yeux marrons et tâches de rousseur. Aussi la lionne Sarabi et les tigresses Ambra et Laxmi s’entraînent-elles régulièrement dans cette aire de jeu d’environ 80 mètres sur 50, dont la réalisation a exigé trois ans de travail, sous le regard des visiteurs du refuge. La proie peut être tantôt un jouet, tantôt un morceau de viande, voire, lorsqu’il n’y a pas de public, un lapin ou un pigeon mort afin de réveiller davantage encore leur instinct. Accrochée à quelques mètres de haut, la cible des félins se déplace au-dessus de leur tête de manière aléatoire, manipulée par les gardiens depuis un petit poste de commande, pour pousser ces animaux malins mais parfois fainéants à faire de l’exercice. Cette petite savane artificielle est parsemée d’obstacles, tels que des rochers, des étangs ou des troncs d’arbre, « afin que les animaux apprennent à regarder et courir en même temps et améliorent leurs réflexes, ajoute Daphne. Les premières fois, on les voit parfois se cogner la truffe ou tomber accidentellement dans l’eau », sourit-elle.L’entraînement est adapté à chaque individu, à sa condition physique, son âge et ses besoins. Certains animaux de cirque étaient « habitués à avoir une vie très active, avec un public, des spectacles et des entraînements », relève Daphne Pels.

La fondation, créée en 2011 par un homme d’affaires passionné et financée par des dons privés, souhaiterait envoyer le lion Omar en Afrique cette année « pour lui donner une famille ». Une réimplantation qui coûte 25.000 euros. A cinq ans, Omar rejoindrait alors les cinq lions vivant déjà au refuge Emoya dans la réserve Bahati en Afrique du Sud tandis que deux tigres du Bengale devraient rejoindre la Fondation thaïlandaise des amis de la vie sauvage (Wildlife Friends Foundation Thaïland, WFFT). Mais une fois sur place, les félins doivent connaître une phase d’adaptation. Ceux qui sont trop dépendants des hommes vivront dans un espace d’un ou deux hectares, avec le soleil, les arbres et la savane, et bénéficieront des mêmes soins qu’aux Pays-Bas. D’autres pourront passer à l’étape supérieure, avec un enclos de cinquante à cent hectares où ils pourront apprendre à véritablement chasser pour se nourrir. Un travail de longue haleine: « nous devons commencer avec de petits animaux et observer s’ils développent des habiletés » à subvenir à leurs propres besoins avant d’introduire de plus grandes proies, explique la gardienne. Mais « pour l’instant, le plus important est d’amener les animaux à Emoya pour améliorer leur qualité de vie et libérer de l’espace (ici) pour les nouveaux animaux qui ont besoin d’aide », souligne-t-elle. Et ils sont de plus en plus nombreux… Dont des éléphants, que la Stichting Leeuw voudrait accueillir dorénavant.