La France a pour ambition de protéger 30% de son territoire océanique par des Aires Marines Protégées, dont un tiers en « protection forte ». Un objectif jugé utopique par plusieurs scientifiques et associations de protection de l’environnement qui constatent de grosses lacunes dans la gestion des aires déjà existantes.
L’appel mondial pour la protection des océans lancé par Emmanuel Macron lors du One Planet Summit début janvier 2021 vise, en autres, à augmenter la couverture des aires marines protégées (AMPs). En tant qu’acteur majeur de la conservation marine avec la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde, la France ambitionne de recouvrir 30 % de son territoire océanique par des AMPs, dont un tiers en « protection forte ». Cependant, une étude, qui sera publiée dans la revue Marine Society en février, pointe le fait que la stratégie française pour atteindre cet objectif se heurte à plusieurs défis. Dans un premier temps, les scientifiques du Centre de recherche insulaire et de l’observatoire de l’environnement (CNRS/UPVD/EPHE-PSL) soulignent un problème dans la classification française des niveaux de protection. Alors que certaines normes existent, la France utilise actuellement une approche souple et spécifique à chaque cas pour définir une protection forte.
Les chercheurs ont par ailleurs évalué les niveaux de protection des 524 AMPs françaises et leur répartition sur les territoires. Ils constatent que 33,7 % des eaux françaises sont couvertes par une AMP mais que 12,5 % d’entre elles n’imposent pas de réglementation plus forte à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur périmètre. Les niveaux de protection forte jugés « efficaces » pour la conservation de la biodiversité ne représentent que 1,6% des eaux françaises, un constat très éloigné de l’objectif gouvernemental de 10% d’aires sous protection intégrale. Les AMPs sont aussi inégalement répartis entres les bassins : 80,5 % d’entre elles sont concentrées sur un seul territoire, celui des Terres australes et antarctiques françaises, indique le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Seulement 0,01% de la façade Atlantique-Manche-Mer du Nord et 0,1% de la façade méditerranéenne sont classés en protection forte.
L’association de protection de la nature France nature environnement (FNE), dénonce quant à elle le manque de réglementation dans les AMPs du golfe de Gascogne, « spécifiquement créées pour protéger plusieurs espèces et habitats (dits « d’intérêt communautaire »), qui sont directement impactés par les méthodes de pêches toujours en cours dans ces zones ». Selon la FNE, rien n’a changé depuis la création de ces espaces, « on pêche presque autant dans les aires marines protégées du golfe de Gascogne ». Un rapport de l’IPBES (La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) publié en 2019 indique que la principale cause de dégradation des océans est la surpêche et le recours à des techniques de pêche destructrices. Aussi FNE a dressé un bilan de quatre méthodes de pêche dont les impacts sur les milieux marins sont quantifiables : le chalut pélagique, les filets maillants, le chalut de fond et la pêche à la drague. Ces techniques sont critiquées à cause du risque de captures accidentelles (dauphins, tortues, requins…), leur manque de sélectivité, l’impact sur les fonds marins et le risque de voir des filets perdus continuer à attraper des animaux.
FNE a dressé une carte répertoriant les heures de pêche entre 2015 et 2018 dans les « zones spéciales de Conservation du réseau Natura 2000 » le long de la côte atlantique, avec un total cumulé de 415.504 heures et des « bateaux à 95,8% français« . En 2018, l’association évalue à plus de 174 000 le nombre d’heures de pêches destructrices dans ces aires protégées, contre 235 000 en dehors. « En toute logique, ces méthodes de pêche devraient être interdites dans ces zones protégées du golfe de Gascogne », indique FNE dans un communiqué.
« En France, on parle beaucoup d’aires marines protégées mais c’est de la protection de papier« , critique Elodie Martinie-Cousty de FNE dans un entretien avec l’AFP, alors que le gouvernement vient de dévoiler sa stratégie pour les aires protégées maritimes et terrestres jusqu’en 2030. Il ne s’agit pas d’interdire la pêche dans les aires protégées, « mais pas avec des engins destructeurs« , précise-t-elle. Les pêcheurs doivent évaluer les incidences des techniques de pêche dans ces zones protégées, mais « ils s’en sont exonérés jusqu’à présent« , assure-t-elle. Il a été demandé à la filière pêche de procéder à ces évaluations d’ici 2026, ajoute-t-elle, qui s’inquiète que « ce soit la profession qui fasse sa propre évaluation » sans observateurs extérieurs.
Dans leur étude, les chercheurs du CNRS parlent de « lacune à combler ». Pour que la stratégie nationale des aires protégées atteigne ses objectifs de protection des océans, les scientifiques préconisent à la France d’étendre à la fois qualitativement et quantitativement son ambition dans chaque bassin océanique en adoptant notamment des réglementations plus strictes.