Le monde est-il prêt à payer pour protéger la nature et ne plus dépenser des sommes folles à la détruire? La question est au coeur de négociations internationales pour mieux protéger la nature à Genève, en amont de la COP15 biodiversité en Chine.
Le chiffre donne le vertige: au moins 1.800 milliards de dollars de subventions publiques, soit 2% du PIB mondial, participent chaque année à la destruction de la nature, selon une étude de la coalition Business for Nature. D’autres études évoquent des chiffres moins élevés, mais s’accordent pour reconnaître que le monde dépense bien plus pour détruire la nature, qui fournit air pur, eau potable ou alimentation, que pour la protéger. « Nous manquons de données » sur les montants alloués à ces subventions néfastes, comme pour celles dépensées pour la protection de la nature, relève Juliette Landry, chercheuse du think tank IDDRI. Les 196 pays membres de la Convention pour la diversité biologique (CDB) sont réunis jusqu’à mardi pour négocier un texte visant à mieux protéger la nature d’ici 2030, et les moyens financiers à mobiliser. Ce texte sera adopté lors de la COP15 biodiversité cette année. « La mobilisation des ressources est devenu un sujet épineux de cette réunion », indique le Ghanéen Alfred Oteng, qui a contribué à des actions clé de la protection de la biodiversité.
Subventions néfastes
Il faut « des ressources supplémentaires de toute provenance – internationale, nationale, publique, privée -, réduire les dépenses dommageables (pour la nature) et mieux utiliser les ressources financières disponibles », résume Jeremy Eppel, co-auteur de rapports sur le sujet pour la CDB. Le texte négocié contient des objectifs chiffrés: « réorienter, réaffecter, réformer ou éliminer les incitations néfastes (…), en les réduisant d’au moins 500 milliards de dollars par an », « accroître les ressources financières, toutes sources confondues, pour les porter à au moins 200 milliards de dollars US par an (…) en augmentant d’au moins 10 milliards de dollars US par an les flux financiers internationaux vers les pays en développement » et réduire le déficit de financement « d’au moins 700 milliards de dollars US par an d’ici à 2030 ». Reste à savoir qui va payer. Pour des pays en développement, un transfert annuel de 10 milliards de dollars est insuffisant. Le Guatemala demande publiquement 60 milliards. Vinod Mathur, président de l’Autorité nationale biodiversité de l’Inde, évoque 100 milliards de « fonds nouveaux, additionnels, rapides ». Sans financement à la hauteur, impossible d’avoir des objectifs ambitieux de protection de la nature, argue-t-il. Le Fonds mondial pour l’environnement (FEM) finance actuellement des projets pour la biodiversité. Mais les pays en développement déplorent sa lenteur et la faiblesse des montants investis. Certains réclament la création d’un nouveau fonds – ce qui prendrait des années, rétorquent les pays opposés à cette idée – ou au moins une réforme du FEM. Les pays riches « reconnaissent qu’il y a des efforts supplémentaires à faire », selon un de leur représentants, mais sans adhérer aux montants évoqués par des pays en développement. Mobiliser davantage le secteur privé et mieux utiliser l’argent déjà disponible sont des pistes, avance la même source. Sont aussi discutées les subventions néfastes qui alimentent agriculture intensive, surpêche, déforestation, énergies fossiles… Les gouvernements les défendent, arguant « qu’elles aident ou ciblent les pauvres, mais (…) les principaux bénéficiaires sont souvent les plus riches », indique Ronald Steenblik, auteur de l’étude pour la coalition d’entreprises Business for Nature. 80% des aides à la pêche vont à la pêche industrielle et non aux petits pêcheurs. Les réformer est souvent un casse-tête car des secteurs entiers d’activité en dépendent. Mais il faut s’attaquer au problème, plaide Eva Zabey, directrice générale de la coalition Business for Nature. Fait plutôt inhabituel, la coalition Business for Nature, forte du soutien de plus d’un millier d’entreprises, demande comme les ONG un texte ambitieux. « Les entreprises ont besoin d’assurance politique pour investir, innover, changer leur modèles d’activité, et vite », fait valoir Eva Zabey. Comme souvent lors de négociations internationales, le sujet pourrait se résoudre uniquement dans la dernière ligne droite, à la COP15 en Chine.