Stopper l’importation de produits liés à la déforestation permettrait de réduire considérablement la perte du couvert forestier. Cependant, cette idée se heurte à quelques difficultés, détaillés dans un article récemment publié dans The Conversation.
La déforestation importée correspond aux produits importés dont la fabrication a nécessité de modifier les terres forestières en terres agricoles. En France, 20% de l’alimentation est issue de ce type de production. Parmi les produits utilisés dans le pays on compte : l’huile de palme, le bœuf, le cacao, le café ou encore le soja qui permet de nourrir le bétail. Alain Karsenty, économiste de l’environnement, directeur de recherches, enseignant à AgroParisTech et consultant international, et Nicolas Picard, Directeur du GIP ECOFOR, chercheur en sciences forestières à l’Inrae, ont expliqué la complexité de mettre fin à un système de déforestation importée et ont donnée quelques pistes permettant de s’en rapprocher.
Les auteurs expliquent que sur les 10 millions d’hectares de forêts perdus chaque année, un peu moins des deux tiers peuvent être attribués à l’expansion agricole. Environ la moitié de cette déforestation liée à l’expansion agricole (soit environ un tiers des surfaces forestières perdues) est liée au commerce international. « En luttant contre la déforestation importée, il est donc possible de lutter significativement contre la déforestation », ont-ils indiqué. Ils précisent dans leur article que l’idée n’est pas de vouloir éviter toute dégradation, mais de maîtriser les facteurs qui la provoquent afin de la contenir dans des limites viables. En effet, « beaucoup d’activités productives durables, comme l’exploitation sélective du bois, entraînent une dégradation de la forêt. Mais, dans le cadre d’une bonne gestion forestière, cette dégradation reste limitée et réversible. Il en va de même pour certaines formes d’agroforesterie (comme le cacao sous ombrage forestier) ou la collecte de bois de feu dans les forêts sèches ».
Afin de se diriger de plus en plus vers la fin de la déforestation importée, les chercheurs recommandent de différencier la déforestation légale et illégale, et que les pays producteurs et importateurs s’accordent sur une définition commune de la forêt qui serait adaptée à chaque milieu de sorte qu’il y ait plus de transparence et moins d’équivoques. Ils constatent qu’il est également possible « d’interdire l’entrée de produits agricoles issus de la déforestation illégale et de moduler les tarifs douaniers en fonction de l’information et des garanties que les acteurs des filières apportent pour prouver que leur production est « zéro déforestation ». ».
Karsenty et Picard soulignent qu’il y a une insuffisance de certification zéro déforestation pour quelques filières et que cela peut être une difficulté. Ils remarquent tout de même que cette situation tend à évoluer « Depuis 2018, des certifications comme RSPO (huile de palme) ou Rainforest Alliance (cacao et d’autres commodités) ont intégré de tels critères. On peut gager que d’autres certifications vont leur emboîter le pas. Et la demande des entreprises sera nettement plus pressante si la perspective d’une mise en place d’une fiscalité différenciée aux frontières de l’UE se précise ». Pour tendre vers la fin un système qui contribue moins à la déforestation, les deux scientifiques mentionnent l’exigence légale de la diligence raisonnée. Il s’agit d’un système de mesures et procédures pour réduire le plus possible le risque de mise sur le marché intérieur de bois issu d’une récolte illégale et de produits dérivés provenant de ce bois. Les auteurs estiment qu’il est nécessaire que les importateurs se soumettent à l’exigence légale de diligence raisonnée pour s’assurer que le produit n’est pas issu d’une déforestation illicite.
Enfin, ils conseillent d’introduire un différentiel fiscal entre les productions zéro déforestation et les autres, avec une hausse de certains tarifs alors que beaucoup de tarifs douaniers sont encore à taux 0%. « Les recettes fiscales supplémentaires pourraient être affectées au financement de programmes destinés à aider les petits producteurs des pays exportateurs à évoluer vers des pratiques durables et parvenir à être certifiés. Cette affectation permettrait de réfuter des accusations de protectionnisme et constituerait un gage de « bonne foi » pour défendre cette mesure à l’OMC ».