« Providence, un ‘Big Brother’ pour surveiller la biodiversité en Amazonie »

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Trois questions à Michel André, Directeur du Laboratoire d’applications bioacoustiques (LAB) de l’université polytechnique de Catalogne, initiateur du projet « Providence ».

Vitoria Velez : en quoi consiste le projet Providence ?

Michel André : le projet a commencé par un constat: nous savons très peu de choses sur la vie sous la canopée. Les satellites et les drones permettent d’identifier et de quantifier le nombre d’arbres coupés chaque année, mais il existe très peu de données sur la diversité des espèces vivant dans et sous la couverture végétale. Cela nous a donné l’idée d’utiliser des outils technologiques de pointe – des capteurs ultrasensibles créés dans l’océan pour mesurer les effets de la pollution acoustique sur la vie marine – pour surveiller la biodiversité amazonienne à grande échelle.

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Grâce aux stations Providence, nous collectons depuis deux ans d’innombrables images et de sons (audibles ou non) dans les zones clés de la forêt inondée de Mamirauá, à 500 km de Manaus, afin de capturer le plus large spectre d’espèces. Ces « oreilles intelligentes » envoient les données en temps réel à mon laboratoire, où nous les analysons avec l’aide des communautés indigènes de Mamiraua et des biologistes de l’Institut. Depuis le début du projet, 10 stations ont été déployées dans la réserve et plus de 40 espèces (oiseaux, singes, jaguars, insectes, chauve-souris, dauphins, poissons) ont été identifiées et sont actuellement surveillées.

Vitoria Velez : quels sont les objectifs du projet ?

Michel André : nous avons divisé ce projet en trois phases: La phase 1 s’est déroulée à Mamiraua, avec 10 premières stations réparties dans différentes zones (aquatiques et terrestres), afin de vérifier que notre système était capable de fonctionner dans des conditions environnementales très difficiles. Lors de la phase 2, nous allons déployer 10 de ces stations dans la forêt nuageuse de Bolivie, appelée Madidi, et un autre ensemble de 10 stations dans la région au Brésil, notamment parce qu’ils y construisent un barrage (celui de Belo Monte, appelé à être le 3e plus grand au monde) et que nous souhaitons surveiller l’état de conservation de sa faune avant et après les travaux. D’ici 2021, nous aurons 30 modules opérationnels (10 à Mamirauá, 10 au Xingu et 10 à Madidi) dans 3 zones différentes de la forêt. La phase 2 verra également la mise en place de 100 stations dans la réserve de Mamiraua, qui deviendra la première au niveau mondial à être monitorée en temps réel. La phase 3 est prévue pour 2025 avec l’objectif ultime de Providence: étendre le réseau et surveiller l’ensemble de la forêt amazonienne avec un millier de stations, déployées à 100 km l’une de l’autre, permettant d’étudier l’impact du changement climatique et des activités humaines sur cet habitat unique. La phase 1 et la phase intermédiaire avant la phase 2 ont été financées par la Fondation Gordon & Betty Moore, pour un coût de 3,5 millions de dollars. La phase 2 est estimée à 8 millions de dollars et la phase 3, à environ 30 millions de dollars. On n’a pas encore ressources pour les phases 2 et 3.

Vitoria Velez : comment les communautés locales sont-elles engagées dans le projet ?

Michel André : un aspect fondamental de Providence est de travailler avec les communautés indigènes, qui sont les véritables gardiennes de l’Amazonie. En fait, puisqu’ils vivent dans la forêt primaire depuis des siècles et que leur vie dépend de ses ressources, ils possèdent une connaissance vernaculaire très précieuse de la biodiversité que nous devons apprendre et comprendre. C’est pourquoi ils ont été impliqués dès le début. Notre équipe de recherche comprend localement des membres des communautés de Mamiraua qui participent activement au choix des zones où sont déployés les stations de Providence et qui nous aident chaque jour à identifier les espèces dont nous recueillons les sons et les images sur le terrain.

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Propos recueillis
par Vitoria Velez